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le 30 septembre ; durant quinze jours aucune motion ne fut proposée ; les membres des deux chambres se concertaient secrètement. Dans la séance du 17 octobre, Cecil déposa une demande de subsides pour solder les dépenses de l’Irlande. Le lendemain, à l’ouverture de la séance de la chambre des communes, un avocat nommé Molyneux prit la parole et, avec l’assentiment unanime de l’assemblée, demanda qu’on mît à l’ordre du jour la question du mariage de la reine et de la succession à la couronne. C’est en vain que Cecil chercha à étouffer la discussion en déclarant que la reine était disposée à se marier et que son mariage rendrait inutile le choix d’un successeur ; les deux chambres convinrent de nommer des commissaires chargés de la rédaction d’une adresse à la reine. Pour détourner l’orage, Elisabeth fit appeler les chefs de la majorité dans les deux chambres ; mais elle n’était pas dans un état d’esprit propre à la conciliation, le sang de Henri VIII bouillonnait dans ses veines. Norfolk fut le premier introduit au nom de tous ; il lui rappela que, dans la dernière séance du parlement, elle avait obtenu que la question de son mariage et celle de sa succession fussent ajournées à une autre session. Sans le laisser continuer, elle lui demanda qui les poussait à la presser ainsi. Jusqu’ici, Dieu merci, ils n’avaient pas eu à se plaindre d’elle ; elle entendait régler seule la question de sa succession, elle ne voulait pas, comme sa sœur Marie, être enterrée toute vive, et quant à son mariage, ils savaient bien qu’elle n’en était pas éloignée ; puis, s’échauffant peu à peu, elle traita Norfolk de traître et de conspirateur. Qui sait ? son arrêt de mort date peut-être de ce jour. Norfolk ainsi congédié, elle reçut Leicester, Northampton, Pembroke et William Howard. Pembroke s’étant plaint de l’accueil fait à Norfolk, le plus fidèle serviteur de la couronne et ayant osé lui dire que si elle ne se rendait pas à leurs conseils, ils agiraient d’eux-mêmes, elle le traita de soudard et d’imbécile qui ne savait ce qu’il disait. Apercevant Leicester à ses côtés : « Et vous aussi, lui dit-elle, m’abandonnerez-vous ? — Je suis prêt à mourir pour vous, s’écria-t-il. — Qui vous le demande ? reprit-elle. Est-ce qu’il s’agit de cela ? » À Northampton elle reprocha le scandale de son récent divorce, et, en définitive, ne voulant rien entendre, elle les congédia brutalement.

Au sortir de cette entrevue, les lords allèrent trouver l’ambassadeur d’Espagne, don Gusman de Silva, et le supplièrent d’agir sur la reine pour la décider à épouser l’archiduc Charles. De son côté, elle fit appeler l’ambassadeur et se plaignit amèrement de l’ingratitude de Leicester ; en lui accordant une faveur trop marquée, elle avait compromis sa réputation, et il mériterait d’être exilé pour ne plus donner d’ombrage à l’archiduc.