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excursion, notre nouvel ambassadeur, La Forest, s’en excusa et se fit remplacer par son neveu Vulcob, attaché à son ambassade. La cour devait s’arrêter d’abord à l’une des résidences de Cécil, qui touchait à Stamfort ; mais la fille de Cecil ayant été prise de la petite vérole, Elisabeth, qui en avait déjà été légèrement atteinte et qui en avait grand’peur, renonça à ce projet et séjourna forcément quelques jours à Stamfort. Vulcob profita de ce temps d’arrêt pour lui demander une audience qui lui fut accordée pour le 5 août. Il attendait, dans la salle de présence, l’heure d’être introduit, quand Leicester sortit de la chambre de la reine ; Vulcob l’aborda et lui fit entendre tout ce que l’ambassadeur son oncle l’avait chargé de dire pour lui. Leicester s’en montra très reconnaissant, mais moitié riant, moitié soupirant, il avoua à Vulcob qu’il était plus que jamais dans l’incertitude sur les intentions de la reine à son égard ; elle était recherchée par tant de princes, et notamment par l’archiduc Charles, qu’il ne savait vraiment qu’en penser. Vulcob lui ayant répondu que leurs majestés ne croyaient pas qu’elle choisît un prince étranger : « Je suis de cet avis, reprit-il, mais je crois aussi qu’elle ne se mariera jamais ; je la connais mieux que personne, la connaissant depuis l’âge de huit ans ; dès ce temps-là et depuis, lorsqu’elle a été en âge d’être mariée, elle a persévéré dans cette volonté. Toutefois, si d’aventure elle prenait un mari, elle n’en prendrait pas d’autre que moi. » Sur ces entrefaites, Elisabeth fit appeler Vulcob. Elle le garda près d’une heure et parut beaucoup regretter que La Forest ne l’eût pas accompagné ; elle lui aurait donné le plaisir de la chasse, il l’aurait vue tuer des cerfs ; puis elle lui demanda des nouvelles de Charles IX, s’étonnant de ce qu’il avait si bien supporté les fatigués d’un voyage de deux ans ; c’était l’indice d’une forte complexion ; elle s’enquit minutieusement de sa taille et de son physique. Vulcob la confirma dans l’opinion qu’elle avait de la bonne constitution du roi et à son tour la flatta par les complimens les plus exagérés. En parlant ainsi de Charles IX, avait-elle l’intention de revenir sur le refus qu’elle en avait fait ? Vulcob le crut un moment, et ce qui le confirma dans cette idée, ce fut l’étrange confidence que venait de lui faire le médecin d’Elisabeth. Après lui avoir l’appelé les éloges que la reine faisait de Charles IX, il lui avait dit que pour resserrer le lien d’amitié entre les deux royaumes, il n’y avait pas de meilleur moyen que de marier le jeune roi à la reine. Vulcob objectant l’âge et les craintes de stérilité que la reine elle-même semblait partager, on lui avait répondu : « Votre roi a dix-sept ans, la reine trente-deux seulement ; ne vous arrêtez pas à ce qu’elle dit ; ce sont propos qu’elle tient suivant les fantaisies qui lui viennent de se marier ou de ne pas se marier. Si le roi l’épouse, je réponds de dix enfans ;