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invoqua, ce fut l’âge et le peu de chances qu’avait la reine d’avoir des enfans du roi. De Foix, lui répondit qu’il pensait autrement, le roi venant d’entrer dans sa seizième année. Northampton répliqua gravement que d’ordinaire avant vingt ans on n’avait pas d’enfans. Aucune autre objection, ne fut mise en avant. Au sortir de cette conférence, de Foix se rendit auprès d’Elisabeth ; elle trouva fort étrange que ses conseillers n’eussent pas soulevé d’autres difficultés. Pour éviter de répondre directement, elle prit encore pour excuse le retour de Somer ; mais en réalité, il n’avait été envoyé à Bayonne que pour tout observer et en faire part à Elisabeth. Pris de dégoût, découragé, de Foix se plaignait amèrement de cette cour, où il n’avait rencontré que pièges et dissimulations. Le seul service qu’il croyait avoir rendu, c’était d’avoir, avec l’aide de Leicester, écarté l’archiduc Charles, mais Leicester n’avait travaillé que pour sa propre fortune, et Charles IX et l’archiduc Charles mis de côté, il demeurait seul à prétendre à la main d’Elisabeth.

Après Cecil, Leicester est la plus grande personnalité du règne d’Élisabeth. Dans les projets de mariage, de la reine, du moins, il a joué le principal rôle ; il y a donc intérêt à rappeler les causes d’une faveur qui s’est invariablement soutenue. Il était ne la même aimée, le même jour qu’Elisabeth et, dans un temps où l’on croyait à l’influence de la conjonction des astres, on attribuait à cette singulière coïncidence la sorte d’attraction qui attira toujours la reine vers lui. Mis à la Tour sous la terrible Marie Tudor pour avoir, suivi avec son père la fortune de la pauvre Jane Grey, il s’y trouva avec Elisabeth, prisonnière comme lui. C’est là que commença leur intimité. Depuis la sortie d’Elisabeth de la Tour, à plusieurs reprises, il lui avait envoyé de l’argent dont alors elle manquait souvent. Le premier, avec Cecil, il vint lui annoncer la mort de Marie ; elle était assise dans le parc de Hatfield, sous un grand chêne dont le vieux trône mutilé est encore debout. « Sois le bienvenu, Robert, lui dit-elle ; je puis maintenant faire bonne mine à mon compagnon de la Tour. » De Cecil elle fit son premier ministre, de Dudley son premier écuyer. Quelques jours plus tard, elle le nommait chevalier de l’ordre de la Jarretière, l’associant dans cette faveur aux plus grands noms d’Angleterre, lui, l’homme nouveau, comme l’appelle l’historien Camden, qui ne remontait qu’à deux générations et dont le père et le grand-père avaient été décapités, le premier sous Henri VIII, le second au commencement du règne de Marie Tudor. Quelques années plus tard, elle lui donna le titre de comte de Leicester. La cérémonie s’en fit à Westminster avec la plus grande pompe ; son favori était à genoux devant elle ; elle voulut placer elle-même la couronne de comte sur sa tête, le flattant de la main, lui prodiguant les caresses.