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pensée et mon âme, qui sont bien différentes de ce qu’on suppose ; mais enfin, si j’épousais le roi de France, qu’en penseriez-vous ? — Que le chemin, répondit Silva, n’est ni bon ni court, et que, même dans un chemin large il y a toujours de mauvais pas. »

Le 3 mars, de Foix, ayant été prévenu par une dépêche que le jour de l’arrivée de la reine d’Espagne à Bayonne était enfin fixé, se servit de ce prétexte pour revoir Elisabeth ; elle répondit qu’elle était très aise de ce que ni les fatigues de ce long voyage ni les rigueurs de ce rude hiver n’avaient altéré en rien les santés de leurs majestés, qu’elle s’associait à la joie qu’elles en ressentaient et regrettait de n’avoir pas la bonne fortune d’y assister comme une troisième reine ; puis, passant au projet de son mariage, elle dit à de Foix que, si elle n’avait pas voulu que Cecil mît par écrit les objections qu’il lui avait faites, c’est qu’en réalité il n’y en avait qu’une, celle de l’âge, et elle demanda si Castelnau de Mauvissière, en allant en Écosse, apporterait enfin la réponse de Catherine. De Foix lui dit qu’il l’attendait de jour en jour. La conversation, venant alors naturellement sur Charles IX, elle ajouta que Smith lui avait dernièrement écrit que le jeune roi croissait merveilleusement et qu’après une absence de trois semaines à peine l’avait-il reconnu, tant il avait grandi et qu’il parviendrait à la hauteur de son père. Ce jour-là, le chancelier avait invité de Foix à souper avec la reine ; elle fit asseoir notre ambassadeur à côté d’elle ; elle paraissait toute joyeuse ; elle but à la santé du roi. Après le souper, on joua devant elle la tragédie de Sophonisbe, qui fut suivie par des mascarades ; elle avait gardé de Foix auprès d’elle et lui parla du royaume de France, de sa grandeur, des passe-temps accoutumés de la cour et du grand nombre de dames qui en faisaient l’ornement ; « comme personne, écrit de Foix, qui se délecteroit de choses qu’elle e.-père posséder un jour. »

Tandis que de Foix poursuivait son illusoire négociation, Catherine, durant le séjour qu’elle fit à Bordeaux au mois d’avril, avait de son côté un nouvel et long entretien avec Smith. Déprime abord elle lui dit qu’il n’y avait que trois objections sérieuses. La première c’était l’âge de son fils ; mais si la reine s’en accommodait, elle s’accommoderait de l’âge de la reine. — Le jeune roi appuya sur ces dernières paroles : « Je voudrais bien, dit-il, que votre maîtresse se contentât de mon âge comme je me contente du sien. » La seconde difficulté, c’était l’obligation pour la reine de résider en France. — Smith en convint. « Mais ne pourrait-elle trouver dans son entourage, reprit Catherine, un lieutenant pour gouverner en son absence ? — Le peuple anglais n’obéit pas si facilement, observa Smith, et les lieutenans deviennent souvent fort insolens. » Catherine tint cela pour peu de chose ; d’ailleurs son fils pourrait résider de temps en