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avait eus la veille avec elle. Avant d’entrer en matière, de Foix lui dit qu’il désirait savoir si c’était vraiment l’intention de la reine d’y donner suite ; à plusieurs reprises, elle lui avait déclaré qu’elle ne se marierait jamais à l’un de ses sujets. Avec de grands sermens, Cecil affirma qu’il en était ainsi et qu’elle n’épouserait jamais un Anglais, pas même Leicester, qu’elle aimait pour ses vertus, non comme un sujet, mais comme un frère ; puis, sous une forme adoucie, il reprit une à une toutes les objections qu’il avait suggérées à Elisabeth. De Foix plaida de nouveau sa cause et proposa ce qu’avait déjà proposé Condé, de faire régner l’aîné des fils en France, le second en Angleterre ; ajoutant que l’appui de la France préserverait à jamais l’Angleterre de toute menace d’invasion. Cecil répliqua fièrement que l’Angleterre n’avait rien à redouter ; de Foix se borna à lui rappeler les diverses invasions qu’elle avait déjà subies. En le quittant Cecil lui promit de mettre par écrit ses observations ; cependant à quelques jours de là, de Foix, les ayant réclamées, il s’y refusa ; avant d’aller plus loin, la reine voulait avoir la réponse de Catherine. Paul de Foix fit donc partir sur-le-champ son secrétaire, afin de rendre compte à la reine-mère de l’état des choses et rapporter la lettre qu’exigeait Elisabeth. De Foix avait fait promettre à Elisabeth de garder le secret de sa négociation, mais elle n’en tint pas compte et raconta tout à Gusman de Silva, l’ambassadeur d’Espagne. « On prétend, lui dit Silva, que Votre Majesté épouse le roi de France. Elle baissa un peu la tête et se mit à rire, puis elle ajouta : « Je veux bien me confesser à vous, puisque nous sommes en carême et que vous êtes mon ami. Il a été traité de mon mariage avec le roi catholique, avec le roi de France, avec les rois de Suède et de Danemark. — Et avec l’archiduc Charles aussi ? reprit Silya. — C’est vrai, répondit-elle. Votre prince royal est le seul qui ne m’ait pas été proposé. — La raison en est claire, dit Silva, en l’interrompant : notre roi a dû croire que vous ne vouliez pas vous marier ; lui, qui est le plus grand prince de la terre et auquel vous, avez de grandes obligations, Votre Majesté me l’a dit, vous a offert sa main et vous ne l’avez pas acceptée. — Cela n’est pas aussi clair pour moi, répliqua Elisabeth ; dans ce temps-là, je pensais beaucoup moins à me marier, et même aujourd’hui, si je pouvais désigner un successeur, je ne me marierais pas ; je n’y ai jamais été bien portée, mais mes sujets m’en pressent tant que je ne pourrai m’en dispenser. Une femme qui ne se marie pas est exposée aux propos du monde ; on lui suppose ou des imperfections ou de vilains motifs. On disait de moi que je ne me mariais pas parce que j’étais attachée au comte de Leicester et que je ne pouvais l’épouser parce qu’il avait une femme. Aujourd’hui il est veuf, et je ne l’épouse pas davantage. Dieu connaît ma