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Son éducation avait été très soignée, très forte ; des mains de Grindall, son premier précepteur, elle avait passé dans celles du savant Roger Ascham, qui, dans ses lettres à Sturmius, parle avec admiration de son élève : « Elle avait, disait-il, une force virile d’application, une mémoire prompte et sûre ; » elle avait lu avec lui tout Cicéron et une partie de Tite-Live, et commençait invariablement sa journée par la lecture du Nouveau-Testament en grec et de saint Cyprien, son théologien favori. Lors de la réception splendide qu’on lui fit à Cambridge, en 1594, elle répondit en latin aux discours des graves professeurs de cette université : elle parlait avec facilité le français, l’italien, l’espagnol et l’allemand. L’ambassadeur vénitien, Giovanni Michieli, qui la vit à l’âge de vingt-trois ans, avait bien deviné ce qu’elle deviendrait un jour : « Elle est, disait-il, d’un esprit et d’une habileté admirables, comme elle l’a fait voir du vivant de Marie Tudor, en sachant si bien se gouverner au milieu des soupçons dont elle était l’objet et des périls qui l’entouraient. Son jugement fin et pénétrant, son application profonde, son caractère hautain et adroit, son active ambition, la destinent à être une grande reine. » Moins d’un mois après qu’elle eut succédé à Marie Tudor, l’ambassadeur d’Espagne écrivait à Philippe II : « Elle ordonne et fait ce qui lui plaît, aussi absolument que Henri VIII son père. »

Telle était la femme dont les trois fils de Catherine, tour à tour, sollicitèrent la main. Cette longue comédie dura dix-huit ans ; Elisabeth y joua jusqu’au bout le rôle de jeune première, tenant à justifier cette devise qu’elle s’était donnée sur le tard : Semper eadem ; Toujours la même. Avant d’en arriver aux trois fils de Catherine de Médicis, la liste des prétendans à sa main est bien longue. Si nous laissons de côté le duc de Savoie, dont elle ne voulut pas, du temps de Marie Tudor, Philippe II, parmi les princes étrangers, est le premier en tête ; elle avoua à notre ambassadeur, La Mothe-Fénelon, qu’elle l’avait refusé par motif de conscience, ne voulant pas épouser son beau-frère ; puis vinrent les deux rois de Suède et de Danemarck ; elle prétendit plus tard n’avoir pas attendu plus de huit jours pour décliner leur offre ; mais celui qu’elle traîna d’année en année, c’est l’archiduc Charles, le frère de l’empereur Maximilien, qui ne réussit pas mieux auprès de Marie Stuart.

On se demande avec étonnement qui eut le premier la singulière idée de marier Charles IX, ayant à peine quatorze ans, avec une femme âgée de plus de trente. Ce fut le prince de Condé, et voici dans quelles circonstances. Au sortir de la première guerre civile, injurié par Calvin qui l’accusait d’avoir trahi la cause protestante en signant la paix d’Amboise, harcelé par l’ambassadeur d’Angleterre, sir Thomas Smith, qui lui réclamait opiniâtrement les sommes avancées