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jour cependant qu’il se promenait dans les montagnes, il aperçut sur une colline blanche comme la neige quatre hommes qui creusaient, avec de grands efforts, une salle dans les flancs du rocher. Ces hommes étaient des anges revêtus par Dieu d’un déguisement humain destiné à tromper le prophète. « Que faites-vous dans ces lieux solitaires ? » demanda Moïse aux travailleurs. Ils répondirent : « Nous préparons une retraite où notre roi veut enfermer le plus précieux de ses trésors ; c’est pour cela que nous nous sommes écartés dans le désert. Notre tâche est à peu près finie et nous allons attendre ici l’arrivée du précieux dépôt qui ne peut pas tarder beaucoup. » Le soleil était ardent ; aucun abri ne pouvait aux alentours garantir de ses rayons ; la caverne seule offrait une ombre délicieuse et une fraîcheur attirante. Accablé de chaleur, Moïse entre pour se reposer un instant sur un banc de pierre qui semblait l’inviter au sommeil. Dès qu’il y est assis, un des quatre ouvriers s’approche de lui et lui offre, avec le plus grand respect, une pomme d’une couleur appétissante et d’un parfum rafraîchissant. Le prophète altéré l’accepte avidement. Mais à peine en a-t-il respiré l’odeur qu’il tombe dans le sommeil de l’éternité. Son âme, recueillie par les anges, est portée sur leurs ailes devant le trône de Dieu ; son corps reste étendu dans la grotte, où il repose encore aujourd’hui. Depuis lors, cette roche qui trompa la prudence de Moïse a conservé sa blancheur apparente à l’extérieur ; mais dès qu’on la fouille on la trouve plus noire, sous sa couche superficielle, que ne le sont les anges de la mort. Je crois aisément à la vérité de ce dernier détail. Tout près du tombeau de Moïse se trouve, en effet, une vallée dont les pierres très blanches à l’extérieur, sont absolument noires dès qu’on les casse et répandent une odeur de bitume fort désagréable. Si on en approche une flamme, elles brûlent en dégageant une odeur plus désagréable encore. Les pas des chevaux qui les brisent suffisent pour fatiguer quelquefois l’odorat des voyageurs. Le tombeau de Moïse n’a donc rien de miraculeux ; il inspire seulement quelques doutes sur la sincérité des engagemens de Dieu et fait craindre qu’Escobar n’ait fait école jusqu’au ciel. Moïse a été à la lettre mis dedans. Les musulmans trouvent la chose toute simple, attendu qu’Allah, souverain maître des choses, peut changer le mal en bien et réciproquement ; mais je ne partage pas leur manière de voir ; aussi, en passant en face du tombeau de Moïse, me suis-je bien gardé d’ajouter ma pierre au tas de cailloux amassés par les fidèles. Il ne faut pas permettre à Dieu de se moquer de nous impunément !

Quand on a traversé les derniers contre-forts des montagnes de la Judée et qu’on se retourne un instant vers elles, l’aridité blanchâtre de cette chaîne désolée brûle les yeux. « Elles présentent,