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premier abord, c’est à peine si l’on distingue le monastère des rochers au milieu desquels il s’élève. Je n’ai jamais rencontré de construction plus pittoresque. Qu’on se figure sur l’un des côtés de la gorge rocheuse que je viens de décrire de longues murailles de forteresse avec des tours, des créneaux, tout l’appareil des enceintes du moyen âge ; à l’intérieur de ces murailles, des plates-formes, des dômes, des séries de chambres disposées en étage du haut en bas des rochers, depuis le lit du torrent du Cédron jusqu’au sommet de la montagne. Parfois, les bâtimens sont interrompus, la roche redevient nue, mais elle est alors percée de cellules comme dans les environs du monastère, et des religieux y vivent à la manière des anachorètes d’autrefois. Le couvent appartient aux Grecs, gens peu braves de leur naturel, qui ont une terreur abominable des Arabes au milieu desquels ils demeurent. Ce n’est donc pas par amour des vieux usages, mais par peur de leurs voisins qu’ils conservent à leur habitation l’aspect d’une forteresse. On n’entre chez eux qu’au moyen de précautions qui vous reportent au temps où. les chevaliers de Walter Scott avaient tant de peine à se faire ouvrir, le soir, à la tombée de la nuit, les portes fantastiques des monastères. Pour pénétrer au Saint-Saba, il faut avoir une permission du patriarche grec. Dès que les moines vous aperçoivent, ils font glisser un panier du sommet de leurs murailles ; vous mettez votre permission dans ce panier, et, après mûr examen, si elle est jugée authentique, on vient enfin vous ouvrir un léger guichet qu’on referme aussitôt que vous êtes passé. Même avec ces précautions, les femmes ne peuvent entrer dans le couvent. Plus prudens que les anachorètes de saint Jérôme, qui s’exposaient aux tentations les plus délicates, qui partageaient non-seulement leurs cellules, mais même leurs couchettes avec leurs compagnes de vie religieuse, afin de prouver un courage au-dessus de toutes les tentations, les moines de Saint-Saba excluent absolument les femmes de leur résidence. Toutefois, comme ils sont hospitaliers, ils leur offrent l’asile d’une tour située en dehors de l’enceinte du monastère, et, comme ils sont prudens, la porte, de cette tour est située si haut que les Bédouins ne pourraient y arriver sans escalade et que personne ne peut y monter sans échelle.

J’avais rencontré sur ma route, en allant à Saint-Saba, un moine grec nommé Constantin Vrissis, qui m’avait mis tout de suite au courant des usages de son couvent. C’était un homme instruit ; il avait fait de bonnes études à Athènes et il ne manquait pas de conversation. Il avait commencé par être catholique ; il était même allé à Rome pour accompagner je ne sais quel évêque ; mais la vue de Pie IX l’avait médiocrement touché. A son avis, le pape n’était