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Les bonnes sœurs de Sion ne s’interdisent pas d’innocentes plaisanteries. Elles ont trouvé dans leur jardin un petit sarcophage qui contenait des ossemens énormes ; comme on est tout près du Térébinthe, où David ramassa les cailloux dont il frappa Goliath au front, elles se sont empressées de déclarer qu’elles avaient mis la main sur le tombeau du géant. Elles rient de leur invention, je ne sais trop pourquoi, car les trois quarts et demi des lieux saints de Jérusalem ne sont pas à coup sûr beaucoup plus authentiques que le tombeau de Goliath. Pour mon compte, il m’inspire autant de confiance que le lieu de la Visitation qu’on va voir dans les environs de Saint-Jean dans la montagne. La route est charmante. Elle traverse une sorte de monument en ruine qui sert de fontaine. Au premier étage, deux arceaux élégans soutiennent une plate-forme qui sert de mosquée aux musulmans ; rangés en longues files, ils s’élèvent et s’abaissent en cadence, tandis que des jeunes filles, des femmes et des enfans barbotent au-dessous d’eux dans l’eau de la fontaine que retient une sorte de réservoir formé de colonnes brisées. Les femmes remplissent leurs cruches, lavent du linge, prennent des poses inconsciemment gracieuses ; les enfans grouillent dans la vase. Quelques arbres ombragent ce joli tableau. De l’église de la Visitation je ne dirai rien, sauf qu’on y remarque des ruines de chapelle gothique qui datent probablement des croisades. Pour changer de route en revenant à Jérusalem, on descend dans la vallée du Térébinthe, et si c’est au printemps, rien n’est gracieux comme les myriades d’anémones, de tulipes et de pâquerettes qui recouvrent de toutes parts les flancs des collines. La vallée du Térébinthe est fort cultivée ; elle est remplie de champs de blé et de plantations d’oliviers qui s’étendent à perte de vue. Arrivé à Tolonia, toute cette verdure disparaît ; on rentre dans la route pierreuse de Jérusalem ; on refait ce triste chemin qui conduit à la plus triste des villes. Je dois avouer cependant qu’il était moins triste que de coutume le jour où je suis revenu de Saint-Jean dans la montagne. C’était, à l’époque de la Pâque juive, et des centaines d’israélites endimanchés animaient la campagne de couleurs étincelantes. Les femmes portaient des robes à grands ramages et des châles multicolores, les hommes avaient revêtu leurs robes les plus brillantes. De près, toute cette population était affreuse ; de loin, elle enlevait au paysage sa monotonie ordinaire. Assise le long du chemin, répandue parmi les rochers et les pierres, elle se détachait sur le fond grisâtre du pays avec une vivacité de relief qui aurait charmé le regard d’un coloriste et auquel personne n’aurait pu rester insensible.