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directement à la portée de tous ! Une certaine âpreté de manières ne pouvait manquer de résulter des habitudes de vie que la constitution physique de la Palestine faisait naître et entretenait chez les populations qui s’y étaient établies.

On peut gravir le mont Sion, soit en revenant des tombeaux des rois, soit directement par la vallée de Josaphat. Le premier itinéraire est le plus agréable. Avant d’arriver au mont Sion, on traverse le mont Scopos, d’où la vue est merveilleuse. On domine d’un côté Jérusalem, que l’on peut embrasser tout entière d’un coup d’œil et qui produit de là une impression qu’on n’éprouve pas lorsqu’on la voit de trop près. Toutes les disparates qui choquent quand on est dans la ville même s’effacent à cette hauteur. On est frappé de la beauté du mur d’enceinte, de la multitude de nécropoles blanches et de minarets non moins blancs qui brillent au soleil ; la grâce charmante de la mosquée d’Omar, qui se détache avec un vif relief parmi les constructions du mont Moriah, charme les regards. Derrière Jérusalem, des amphithéâtres de montagnes pierreuses s’étendent à l’infini. Quand on se tourne dans la direction opposée, le spectacle change complètement. On aperçoit à l’horizon les montagnes de Moab noyées dans une sorte de vapeur bleue ; la Mer-Morte, dont les reflets sont plus bleus encore, vient mourir lourdement, en formant une courbe élégante, dans l’immense vallée du Jourdain ; puis cette vallée elle-même se perd au loin dans une brume toujours bleue, c’est la plus belle symphonie du bleu qu’on puisse rêver ! Du mont Scopos au mont Sion, il ne faut guère que quelques minutes. J’ai déjà dit qu’une petite mosquée s’élevait à l’emplacement de l’Ascension et qu’on y voyait sur une pierre l’empreinte du pied de Jésus. Le Guide ordinaire des pèlerins de Palestine, un livre excellent plein de renseignemens utiles, œuvre du frère Liévin de Hamme, le plus aimable, le plus modeste et le plus charmant des franciscains, contient deux réflexions intéressantes au sujet de cette empreinte. La première roule sur le côté où était tourné Jésus en montant au ciel. Le frère Liévin affirme d’après saint Cyrille, qu’il regardait l’orient ; « c’était, dit-il, comme s’il eût renié Jérusalem et la nation juive, pour s’adresser à des races nouvelles jusqu’alors inconnues aux Juifs. » Jésus tournait donc le dos à Jérusalem ; mais ce qu’on ne s’explique pas, c’est qu’au moment même où son corps devenait assez léger pour s’envoler dans l’espace, son pied fût encore assez lourd pour enfoncer des pierres. L’objection n’arrête pas le frère Liévin. « Quant à l’authenticité des empreintes sacrées que Notre-Seigneur a laissées sur le mont des Oliviers en montant au ciel, ajoute-t-il, on peut dire que celui qui, par sa propre vertu, peut monter au ciel, peut très bien aussi