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livres ou dans ses discours, « des mérites ou des défauts qui plus tard deviendront propres à la littérature française. » C’est, à ce qu’il me paraît, une raison de plus de ne pas trop regretter la domination romaine. Rome nous a donné ses qualités sans nous enlever les nôtres, et l’on peut dire qu’elle a remporté sur nous une de ces victoires où il n’y a pas de vaincus.


IV

Il ne suffit pas à M. Al. Bertrand de nous montrer, par des témoignages manifestes, à quel point la Gaule, dans les premières années de l’empire, est devenue romaine ; son ambition est plus haute ; il cherche à nous expliquer ce qu’il nous a fait voir ; il veut nous faire comprendre de quelle manière les Romains ont obtenu si vite ce résultat surprenant. C’est une leçon d’histoire et de politique qu’il prétend nous donner ; et, pour qu’elle soit complète et saisissante, il n’a besoin que de disposer dans un ordre habile et méthodique quelques salles de son musée. Quand on les a parcourues, on se rend compte aisément de la façon dont s’y prenaient les Romains pour assurer leurs conquêtes et faire des vaincus, non-seulement des sujets soumis, mais de fidèles auxiliaires, et bientôt des citoyens dévoués.

Ils commençaient par construire des routes : c’était un moyen sûr d’ouvrir un pays barbare à la civilisation. Si de plus il était fertile, les routes lui permettaient de tirer parti de ses richesses naturelles. L’aisance devenait bientôt générale, ce qui fait les affaires de ceux qui gouvernent aussi bien que de ceux qui sont gouvernés. Les Romains n’ignoraient pas que les gens qui sont à leur aise aiment le repos, redoutent les changemens et sont reconnaissans au maître qui défend la paix publique. Ils firent donc des routes dans la Gaule, comme partout. Aussi y rencontre-t-on assez souvent de ces bornes milliaires, qui, placées le long des grands chemins de l’empire, indiquaient les distances au voyageur. M. Al. Bertrand a cru de voir en reproduire quelques-unes dans la dix-septième salle du musée. La plus ancienne est du temps d’Auguste : c’est une belle colonne tronquée, sur laquelle le nom du prince et la série de ses titres officiels sont tracés en caractères nets et élégans. Il est remarquable qu’à mesure qu’on avance dans l’histoire de l’empire, les bornes milliaires ne sont plus faites avec le même soin et que les inscriptions deviennent de plus en plus grossières : là aussi le malheur des temps se fait sentir. Rien qu’en regardant celles qui portent le nom de Maximin ou de Postumus, et qui sont gravées avec une grande négligence, on devine que l’empire