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raisins dorés, ces branches de cerisiers garnies de fruits mûrs, et de temps en temps, des figures hardiment jetées, qui semblent planer dans l’air. Quant aux statues, on n’aura que l’embarras de les choisir. Nos aïeux avaient beaucoup de goût pour elles ; aussi en a-t-on trouvé chez nous un très grand nombre et de fort belles. Quelques-unes sont au Louvre et ne déparent pas une collection qui contient tant d’œuvres admirables. Telle est, par exemple, la Vénus accroupie de Vienne, qu’on a récemment placée non loin de la Vénus de Milo et qui soutient ce très dangereux voisinage. Mérimée disait que c’était le morceau antique le plus extraordinaire qu’on pût voir, parce que l’auteur, un artiste de premier mérite, ayant choisi pour modèle une femme de vingt-sept à vingt-huit ans, un peu grasse, avec des formes solides et charnues, n’avait reculé devant aucun des détails d’une imitation complète et exacte. Mais il est probable que ce chef-d’œuvre de sculpture réaliste était originaire de l’Italie ou de la Grèce, et qu’un riche amateur l’en avait fait venir à grands frais. Nous serions naturellement plus curieux de connaître des œuvres de provenance gauloise, et ce sont elles qu’il faut surtout réunir dans un musée d’antiquités nationales. On y mettra, par exemple, ces divinités locales qu’on représente avec la roue à la main, le collier au cou, ou serrées dans leur tunique collante, et dont on n’a dû sculpter l’image que dans le pays où on les adorait. Il y a même quelques-unes de ces statues, comme l’Apollon d’Evreux et celui de Troyes, qui, bien que ne portant pas ces signes distinctifs, ont paru pourtant appartenir à une école spéciale et toute gauloise qui aurait fleuri chez nous sous l’empire. « En analysant les particularités esthétiques des œuvres de cette école, dit M. François Lenormant, il serait facile d’y signaler déjà des qualités et des défauts qui, dans des siècles bien postérieurs, sont devenus propres à la sculpture française : preuve remarquable de la permanence des aptitudes et des tendances de race dans la population de notre pays[1] ! » Je suis d’autant plus frappé de cette dernière réflexion qu’il me semble que la littérature en confirme la vérité. Dans les lettres, comme dans les arts, quoique Rome ait été maîtresse de la Gaule pendant cinq siècles, elle n’y a pas détruit l’esprit national. L’uniformité de l’empire n’est qu’apparente ; au fond, des différences subsistent entre les diverses provinces et, c’est l’honneur de Rome qu’elle n’ait pas cherché à les effacer. Le Gaulois chez nous vit sous le Romain, et, dès qu’il parle ou qu’il écrit, il est facile de signaler, dans ses

  1. Je tire ces indications de la Gazette archéologique, publiée par MM. de Witto et François Lenormant, membres de l’Académie des inscriptions. Cet excellent recueil, qui contient tant d’articles intéressans sur l’art antique, a été amené à s’occuper assez souvent de la sculpture gauloise.