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grand bouclier, on le coifferait d’un de ces casques cornus qui se voient sur l’arc d’Orange[1]. On lui mettrait au cou un collier, on le couvrirait du sagum, qui n’est pas une blouse, comme on le prétend quelquefois, mais une sorte de plaid s’attachant sur l’épaule ou sur la poitrine. On pourrait enfin lui placer dans la main cette petite enseigne gauloise qu’on voit au musée et qui se compose d’un sanglier au bout d’une pique, et l’on aurait ainsi la reproduction fidèle d’un de ces « réguliers » de Vercingétorix qui firent passer de si cruelles heures aux soldats de César.

Il était beau sans doute de conquérir la Gaule en dix ans ; mais ce qui fut plus remarquable encore, c’est de l’avoir rendue si vite romaine. Une fois qu’elle fut soumise, les Romains la traitèrent avec douceur. César respecta son amour-propre, sa principale passion, et ne fut avec elle ni raide ni insultant. Il réunit ceux qui avaient pris, dans ces dix ans de batailles, l’habitude de se battre toujours, et forma de ces soldats incorrigibles sa légion de l’Alouette, la plus fidèle et la plus brave de celles qu’il menait à la conquête de Rome. Les autres furent heureux de jouir enfin du calme et de la paix. Quelques années de repos suffirent pour dompter ces cœurs rebelles et les assujettir pour jamais au vainqueur. Il n’y a peut-être pas d’autre exemple d’une nation noble, généreuse, qui se soit résignée si aisément à sa défaite. Faut-il croire, comme le disent quelquefois nos ennemis, que notre pays soit sujet à ces momens de lassitude qui le jettent dans les bras d’un maître ; ou ne vaut-il pas mieux penser qu’il fut alors vaincu par une civilisation séduisante, que les lettres et les arts, que le vainqueur lui fit connaître, le consolèrent de ce qu’il perdait, et qu’il regretta médiocrement une indépendance qui l’avait si longtemps privé de ces nobles plaisirs ? Quoiqu’il en soit, la rapidité avec laquelle la langue latine s’y répandit tient du prodige. On fonda des écoles qui devinrent les plus florissantes de l’empire. La rhétorique, pour laquelle les

  1. Il existe, au musée de Saint-Germain, un excellent moulage des sculptures de l’arc de triomphe d’Orange et de celui de Saint-Remy. M. Al. Bertrand a eu l’idée de placer dans trois grandes malles du rez-de-chaussée les monumens trop vastes et trop lourds pour être mis dans les salles du haut à la place que leur date leur assignait. Ces salles mériteraient d’être étudiées à part. Je n’en dirai rien à mon grand regret, ne pouvant pas parler de tout. Du reste, ce travail a été fait en partie dans le Journal des savans de l’année dernière par M. de Saulcy, l’érudit aimable et distingué que la France a perdu, il y a quelques mois. En regardant de près l’arc d’Orange, M. de Saulcy a renouvelé le tour de force accompli par Séguier, au siècle dernier, à propos de la Maison carrée de Nîmes : au moyen des trous laissés par les crampons de fer qui attachaient les lettres sur l’architrave de marbre, il a restitué le commencement de l’inscription, et prouvé, contrairement à l’opinion des archéologues, que le monument a été élevé en l’honneur de Tibère, après la défaite de Sacrovir.