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imprévues et dangereuses, puis, à la fin, la chambre carrée, où tout le monde s’entasse. Le défunt, quand il était prévoyant et ne voulait pas rester seul dans sa demeure pendant toute l’éternité, faisait enterrer avec lui quelques-uns de ses serviteurs, dont on rencontre parfois les ossemens à côté de ceux de leur maître. Il tenait à avoir aussi son cheval de bataille, ses armes, ses ustensiles ordinaires. Ces armes sont encore des silex pointus, mais bien mieux travaillés qu’à l’époque précédente. Nous sommes à ce qu’on appelle l’âge de la pierre polie. Les pierres dont on fait des haches et des poignards sont souvent de matières dures, résistantes. On leur a donné la forme qu’on voulait en les frottant contre d’autres pierres plus dures encore[1]. Pour les rendre si acérées, si unies, si brillantes, si exactement proportionnées, il a fallu beaucoup de temps et de peine ; mais, encore une fois, nous sommes ici dans une société où le travail semble ne rien coûter. Le chef est entouré d’une nuée d’hommes qui vivent de lui et vivent pour lui ; tout le monde travaille pour le satisfaire.

Devons-nous chercher à pousser nos investigations plus loin ? Parviendra-t-on jamais à en savoir davantage sur les populations qui ont élevé les dolmens ? M. Al. Bertrand le croit possible, et il n’a pas épargné sa peine pour nous les faire un peu mieux connaître. Il a eu l’idée de marquer sur une carte l’emplacement de tous les dolmens qui ont été signalés chez nous. Ils se trouvent presque tous dans l’ouest de la France. Si l’on tire une ligne idéale de Bruxelles à Dijon et qu’on la prolonge jusqu’à Marseille, on a la limite extrême du pays où ils sont contenus. M. Al. Bertrand a observé aussi que le plus grand nombre d’entre eux sont situés à proximité des cours d’eau et principalement sur le bord de ceux qui se jettent dans l’Océan. Il est remarquable que les rives du Rhône, de la Saône, de la Loire inférieure, qui étaient avant César les grandes artères du commerce intérieur de la Gaule, en contiennent fort peu. De tous ces faits M. Bertrand est fort tenté de conclure que les dolmens sont l’œuvre de peuples qui sont arrivés en France par mer. Il suppose qu’ils venaient des pays du Nord et qu’ils ont pénétré dans l’intérieur des terres en suivant le cours des fleuves, comme firent plus tard les pirates normands. L’hypothèse est fort séduisante, mais il faut attendre, pour nous décider à l’accepter définitivement, qu’elle ait

  1. On montre, au musée de Saint-Germain, quelques-unes de ces pierres qui ont servi à polir les autres, et qui ont été presque usées par le frottement. Parmi les silex destinés à servir de hache ou de poignard, il y en a qui n’ont pas été entièrement travaillés et dont une partie est encore engagée dans la gangue. En les regardant, nous comprenons mieux de quelle façon s’opérait le travail.