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moment, aux yeux du chancelier, les progressistes sont les ennemis de l’empire, de l’unité allemande, de la dynastie des Hohenzollern. Ce sont, en un mot, des républicains déguisés, auxquels il a déclaré une guerre à outrance et dont il verrait par conséquent avec joie la défaite électorale.

Est-ce à dire que le chancelier sait disposé à s’allier avec les ultramontains qui viennent de triompher en Bavière, avec le centre catholique du parlement, et à payer cette alliance de toutes les concessions qu’on lui demandera ? M. de Bismarck, on le sait bien, a ses procédés parlementaires à lui ; il se sert des partis, il ne les sert pas. Il a été autrefois en guerre avec les ultramontains, il est aujourd’hui eu guerre avec les progressistes. Il change de tactique et d’alliés selon les circonstances, et dans ces derniers mois il n’a pas caché que, si le parlement ne répondait pas à ses vues, il le dissoudrait. A la vérité, cela limite un peu la signification et la portée des prochaines élections ; il est bien clair que, quel que soit le résultat du scrutin, la volonté du chancelier reste une puissance avec laquelle tous les partis allemands sont encore réduits à compter.

La Russie, après la période assez sombre qu’elle vient de traverser depuis quelques mois, après les incidens sinistres et les manifestations menaçantes qui ont accompagné le changement de règne, la Russie est-elle près de rentrer dans une phase plus calme ou moins troublée ? Assurément le nouveau règne a commencé sous les plus pénibles auspices, au milieu des difficultés les plus graves, en présence d’un danger permanent d’explosions révolutionnaires et de nouveaux attentats. On dirait aujourd’hui qu’il y a un certain apaisement, que le péril du moins a cessé d’être aussi pressant et aussi immédiat qu’il a pu le paraître un instant, dans les premiers jours où la vie des souverains semblait à peine en sûreté dans les palais impériaux. La situation de la Russie n’a cependant pas cessé d’être grave et obscure, surtout pleine d’incohérences. Le travail révolutionnaire peut être moins visible, il n’est point interrompu ; d’un autre côté, on a pu récemment entrevoir l’état moral de certaines provinces par les désordres et les violences qui ont éclaté contre les juifs. Tout semble devenir difficile en Russie, et les changemens accomplis dans le gouvernement depuis l’arrivée de l’empereur Alexandre III au trône ne révèlent pas une politique bien« précise, bien réfléchie, bien sûre d’elle-même. Ce sont de petites révolutions de personnel. Le comte Loris Mélikof, qui avait acquis une certaine popularité, s’est éclipsé le premier ; il a été suivi par le ministre des finances, et le général Milutine, depuis longtemps ministre de la guerre, a demandé à son tour à se retirer. Ces jours derniers, le grand-duc Constantin a été « relevé » de ses fonctions de président du conseil de l’empire et de commandant de la flotte, pour être remplacé par un frère de l’empereur. Le changement le plus significatif est