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conservateurs. Ils n’ont pas précisément fait de la violence un système, nous le voulons bien, on ne les en accuse pas. Ce dont on les accuse, c’est d’être restés au pouvoir des hommes de parti et de secte, des dominateurs infatués et arrogans, pressés de jouir, disposant sans ménagement et sans prévoyance des ressources d’un grand pays, pliant les lois à des volontés ou à des intérêts éphémères, portant dans le maniement des affaires publiques un mélange d’inexpérience turbulente et d’idées évidemment fausses. Ce qu’on peut leur reprocher, c’est de n’avoir point été des hommes de gouvernement autant qu’ils le croient, d’avoir souvent sacrifié, au contraire, les conditions les plus essentielles de gouvernement pour des passions ou des fantaisies prétendues républicaines. Ils n’ont pas vu qu’ils préparaient, sans le vouloir, l’affaiblissement de tous les ressorts publics. M. le comte d’Haussonville, en exposant ces jours derniers avec autant de droiture que d’autorité la situation des affaires d’Afrique devant le sénat, signalait comme une « défaillance des mœurs politiques l’habitude de ne vouloir plus placer nulle part la responsabilité. » Ce que M. d’Haussonville disait devant le sénat, M. le président de la commission du budget de la chambre des députés l’avait dit de son côté : « Il y a maintenant chez nous une trop grande facilité à laisser se relâcher les liens du gouvernement et s’affaiblir le sentiment de la responsabilité… Si nous voulons nous prémunir contre le retour de désastres pareils à ceux qui sont tombés sur la France, il y a un peu plus de dix ans, il faut réagir contre ce sentiment, l’affaiblissement des responsabilités… » Soit ; mais pour qu’on en soit venu là, à qui la faute, si ce n’est à ce travail d’altération qui ne cesse de s’accentuer depuis quelques années, à cette confusion croissante où l’on finit par ne plus savoir ce que c’est que la politique, ce que c’est que l’idée de gouvernement, ce que c’est même que la loi ?

Certainement il ne faut rien exagérer. Il est cependant bien clair qu’en dépit des programmes rétrospectifs qui ont pu déjà être retracés et des programmes d’avenir qui vont être présentés au pays, la session qui vient de finir a offert plus d’un exemple de cette confusion de toutes les idées, de cet affaiblissement de tous les ressorts publics, de cette légèreté présomptueuse que les partis dominans, ministère et majorité, portent dans les affaires de la France. Prenons simplement deux des faits qui ont signalé cette fin de session, — la question de la préfecture de police et le budget.

Le ministère, ou, si l’on veut, le chef du ministère, se donne volontiers comme le représentant de la « politique modérée, » c’est-à-dire de la résistance à certaines exagérations de radicalisme. Or que s’est-il passé il y a quelques jours à peine ? Le gouvernement, on le sait, a depuis longtemps’, en plein Paris, un rival redoutable, le conseil municipal, qui ne s’inquiète guère, ni des pouvoirs publics, ni de la loi, ni