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qui donc avait donné à Thomas-Simon Gueullette l’idée de ce divertissement ? Des jeunes gens, qu’un avocat en vogue, M. Chevalier, réunissait en conférence deux fois par semaine pour les préparer avec son fils à l’art du barreau. Un jour, cette petite troupe, après la conférence, essaya de répéter une parade qu’elle avait vue la veille à la foire Saint-Laurent : de là vint cette mode. Ainsi des basochiens ranimèrent la farce trois siècles environ après que des basochiens l’avaient créée. Lisez ces parades : il s’y trouve de petits dialogues vivement et nettement troussés, parmi beaucoup d’ordures. Le grave Gueullette, lequel a rédigé aussi une collection excellente d’arrêts criminels, écrivait à une dame de ses amies, qui lui demandait un renseignement sur les parades : « Je suis peut-être le seul dans Paris qui s’occupe sérieusement de choses aussi frivoles. » Il aurait pu tout aussi bien écrire : « Je suis un de ceux qui produisent très proprement des saletés ; » mais il n’aurait pu dire ; « le seul, » car les honnêtes gens dans ce siècle, qui n’a pas cependant « la laideur du XVe, » n’étaient pas fort dégoûtés. Eh bien ! quels sont les sujets et les personnages de ces parades applaudies ? Sous des noms empruntés à la comédie italienne, nous retrouvons les acteurs de nos farces françaises ; que dis-je, de nos farces ? de nos fabliaux ! et leurs aventures sont à peu près les mêmes qu’autrefois. Leur indécence n’est plus naïve, mais singulièrement étudiée : voilà toute la différence, à moins que celle des noms ne vous paraisse capitale : « le Mari » s’appelle maintenant Cassandre, « la Femme » Isabelle, et sous la perruque de Léandre je reconnais « le jeune clerc. » Quoi d’étonnant ? les farces ne sont que des fabliaux mis en action ; et ces parades, je vous le dis, ne sont que des farces accommodées avec une sauce Collé. Gueullette, nous le savons, connaissait et goûtait notre vieux théâtre si purement national. Le premier, en 1748, il avait fait réimprimer le Nouveau Pathelin ; dans cette même lettre que j’ai citée plus haut, il déclare que « les François auroient eux-mêmes inventé s’ils n’avoient pas été précédés… N’avons-nous pas des farces de la plus grande beauté et du naturel le plus exquis ? Le Pathelin, la Cornette prouvent seules ce que peut faire l’esprit, quoique dénué d’instruction et de secours. » — Voilà justement ce que la Farce dit à la Comédie en mots plus vifs et plus piquans, dans le prologue écrit par M. Fournier pour la Vraie Farce de maître Pathelin :

…Je suis même née,
Mais ceci tout bas entre nous,
Un peu plus française que vous.


Je viens de citer, ou plutôt Gueullette vient de citer la Cornette, ce premier et plaisant exemplaire de la comédie de quiproquo, écrit en 1544