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au nom du goût la grossièreté de telle farce, de celle par exemple, du Cuvier, ou de celle des Femmes qui font escurer leurs chaulderons, il serait difficile de défendre le XVe siècle de ses reproches : encore faudrait-il dire que le XVe siècle a eu des complices, et détourner sur ceux-là une partie de cette colère. « Le vrai sujet de la farce ou sottie française, disait Sibillet sous François Ier, sont badineries, nigauderies et toutes sotties émouvantes à ris ou à plaisir. » Toutes, vous entendez ? Et comme en ce pays, à quelque siècle qu’on se place, si l’on prend sans choix toutes les plaisanteries qui peuvent émouvoir le rire, il s’en trouve dans le nombre plus de déshonnêtes que d’honnêtes, vous pensez bien que le répertoire de la farce n’est pas fait pour édifier les personnes décentes, Les hommes sages réprouvent les farces, écrivait sous Louis XIII, le médecin Louis Guyon, « d’autant que volontiers elles sont pleines de toutes impudicitez, vilenies et gourmandises, et gestes peu honnestes, enseignans au peuple comment on peut tromper la femme d’aultruy… » J’ai dans l’idée que ce Louis Guyon s’exagère les crimes de la farce et que le peuple de France n’avait pas attendu ces leçons-là pour savoir « comment on peut tromper la femme d’aultruy. » À Dieu ne plaise cependant que je plaide pour le scandale et contre la pudeur ! J’insinue seulement que ce goût populaire de la plaisanterie grosse et grasse était ancien au XVe siècle et n’était pas près de passer… Populaire, est-ce bien dit ? Bruscambille, justement sous le chaste Louis XIII, ne craignait pas de dédier à Henri de Bourbon, prince de Condé, ses Nouvelles et plaisantes Imaginations, lesquelles devaient déplaire au docteur que je viens de citer. Turlupin, Gaultier-Garguille et Gros-Guillaume n’étaient pas, que je sache, plus réservés que les basochiens : le cardinal de Richelieu les admit parmi les comédiens de l’hôtel de Bourgogne, et jusqu’au milieu du XVIIe siècle ils y jouèrent leurs farces, qui n’étaient pas le charme que de la canaille. Molière avait écouté plus d’une fois l’Orviétan et de Bary, héritiers de Mondor et de Tabarin, ces maîtres joyeux du Pont-Neuf, avant d’écrire le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé, ces farces qui ne paraîtraient pas très différentes de leurs devancières si l’on ne savait qu’elles précèdent le Médecin malgré lui et George Dandin. Pendant que la comédie, fille anoblie de la farce, s’établissait dans les théâtres pour l’honneur des lettres, la farce elle-même se maintenait pour l’ébaudissement de la foule, et même des honnêtes gens, dans les baraques et surtout devant les baraques de la foire ; et si vous voulez savoir quel renouveau de succès, et aussi d’indécence, elle eut au siècle dernier, il vous suffit de feuilleter les deux volumes que M. d’Heylli vient de publier sous ce titre : Théâtre du boulevard.

Ces deux volumes contiennent les parades composées par Thomas-Simon Gueullette, avocat au parlement, puis substitut du procureur du roi. Elles furent écrites à l’instar des parades de la foire pour un théâtre de société, puis réclamées justement par les comédiens de la foire. Et