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mais pour lesquelles on lui a demandé une prime de 125 francs ; il a donc payé 250 francs des titres qui ne représentent que la moitié de cette somme. Toutefois, M. Prudhomme a sujet de se féliciter de son placement : les actions de la société financière ont monté de 500 fr., depuis son achat ; tout fait croire que la société suivra la trace de ses devancières, dont les actions font des primes de 800 francs, de 1,000 francs et même plus. M. Prudhomme n’a garde de se défaire des siennes et cependant il voudrait tirer parti des 50,000 francs qu’il a gagnés. La société dont il est actionnaire patronne une nouvelle compagnie d’assurances qu’on déclare appelée au plus grand avenir, et elle offre de faire des avances aux souscripteurs sur dépôt de titres. M. Prudhomme, qui est plein de prudence, se contente d’une avance de 25,000 francs, à l’aide de laquelle il souscrit cent actions de la compagnie d’assurances, toujours en payant une prime 125 francs par titre. Comme on le lui avait annoncé, la nouvelle compagnie d’assurances contre l’incendie voit ses titres monter avec rapidité ; elle promet une large moisson de bénéfices. Les mêmes patrons qui ont la main si heureuse proposent de greffer sur leur récente création une compagnie d’assurances sur la vie, ou contre la grêle, ou contre les accidens, ou toute autre société par actions. Le concours de M. Prudhomme ne leur manquera pas. Notre capitaliste hypothèque la moitié du gain que lui assurent ses actions de la compagnie d’assurances, et il souscrit encore cent actions de la nouvelle entreprise, toujours avec une prime de 125 fr. par action, et il s’estime le plus avisé et le plus heureux des hommes, parce que ces nouvelles actions montent avec la même rapidité que leurs devancières.

Voilà le miracle de la multiplication des capitaux tel qu’il s’accomplit sous nos yeux depuis deux ans et demi. M. Prudhomme n’avait que 25,000 francs ; cependant il a pu payer en écus aux fondateurs des trois sociétés dont il est devenu actionnaire 37,500 fr. de primes, et il est propriétaire de trois cents titres nominatifs, libérés de 125 francs et représentant, par conséquent, 37,500 francs ; seulement, ces trois cents titres nominatifs constituent pour M. Prudhomme un engagement indéfini de payer, à première réquisition des conseils d’administration, 375 francs par titre, soit 112, 500 fr. ; de plus, M. Prudhomme est débiteur de deux sommes de 25,000 fr. qu’il a empruntées pour prendre part à deux souscriptions. Il ne s’en inquiète pas, parce que toutes les actions qu’il possède sont à des cours très élevés et que la prime qu’il peut réaliser sur chacune d’elles lui permettra de faire face à tous ses engagemens. Tout est, en effet, pour le mieux tant que la prime subsiste et tant qu’elle est facilement réalisable. Tout le monde s’est enrichi sans effort et