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placemens qu’il avait faits, tout le monde avait réalisé ou pu réaliser des bénéfices. Comment cela s’est-il pu faire ? Comment le public a-t-il été entraîné à souscrire les titres qu’on lui a offerts et à payer des majorations qui en doublaient et quelquefois en triplaient le prix ?

Nous avons vu les établissemens de crédit appeler de toutes les façons les dépôts de fonds : quelques-uns ont multiplié les succursales et les guichets où le public pouvait apporter son argent, afin qu’il trouvât sans dérangement, dans son quartier même, une tirelire toujours ouverte. Lorsque l’emploi des dépôts ne fut plus jugé suffisamment fructueux, on changea de conduite ; on sembla repousser ces mêmes dépôts. On vit ces mêmes établissemens réduire simultanément et comme à l’envi l’intérêt qu’ils servaient aux déposans ; ne plus offrir que 1 pour 100 par an pour les dépôts à sept jours de préavis et que 1/2 pour 100 pour le compte de chèques ! Pourquoi retirait-on ainsi au public les avantages auxquels on l’avait habitué ? En rendant les placemens temporaires à peu près improductifs, on visait à refouler l’argent des dépôts vers les valeurs qu’on mettait sur la place. On spéculait non sans raison sur le côté parcimonieux du caractère français, sur l’extrême répugnance de l’homme qui a fait péniblement quelques économies à laisser ses épargnes improductives, et suivant une locution consacrée, à perdre l’intérêt de son argent. En même temps, on tentait le petit capitaliste par l’appât irrésistible des primes considérables que ne manquaient jamais de faire des titres prônés par toutes les voix de la presse financière, répartis entre les acquéreurs avec des réductions notables sur les demandes, artificiellement raréfiés sur le marché par la vigilance de syndicats qui ne les laissaient jamais affluer en trop grand nombre à la Bourse et maintenaient les cours. Quand les épargnes réellement existantes ont été absorbées, quand le cercle des souscripteurs possibles a paru se restreindre, on a alléché le public en lui offrant sous la forme d’avances sur dépôts de titres et à un taux très modéré des facilités aussi séduisantes que dangereuses.

Nous touchons ici au côté le plus inquiétant de la situation financière. Ce qui est fait pour alarmer, c’est moins la fragilité d’une grande partie des créations que nous avons vues naître que l’artifice à l’aide duquel la spéculation, greffant les affaires les unes sur les autres, empruntant aux premières nées une partie de leur vitalité pour animer les autres, a créé entre toutes une solidarité étroite et pleine de péril. Un exemple peut seul permettre d’expliquer clairement cet enchevêtrement des sociétés industrielles. M. Prudhomme avait 25,000 francs d’économies à placer ; il les a employés à acquérir cent actions d’une société financière, actions libérées de 125 fr.,