Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les émissions de titres et surtout les créations de compagnies j nouvelles ont produit des bénéfices considérables aux sociétés financières qui les ont entreprises. Ou a singulièrement perfectionné les procédés du passé : autrefois, on croyait impossible de fonder une société sans le concours du public : on en surveillait attentivement les premiers pas, on débutait par des sacrifices pour produire sur les titres une prime dont la récolte donnait quelquefois des résultats assez maigres. Aujourd’hui on détermine à l’avance les bénéfices qu’on veut réaliser : on prend soin de fonder la société en dehors du public et sans aucune participation de sa part, et quand on l’a pétrie et façonnée, on en met les actions en vente avec une majoration considérable qui entre immédiatement dans la caisse des fondateurs : ceux-ci n’ont plus aucun risque à calculer, aucune attente à subir, et dès le lendemain ils peuvent se désintéresser absolument des destinées de leurs créations. Il n’est pas surprenant que, depuis deux années, chaque mois et on pourrait presque dire chaque semaine ait vu naître quelque société financière nouvelle, désireuse de mettre à profit cette combinaison aussi ingénieuse que lucrative, et les dernières venues de ces sociétés ont essayé de compenser par une fécondité plus grande le désavantage de leur apparition tardive sur la scène financière.

Bien qu’il ne soit pas sans intérêt de constater les procédés employés par la spéculation, ce qu’il importe surtout d’étudier, ce sont les résultats de ce prodigieux enfantement de créations nouvelles. La question capitale est de savoir quelle est la proportion entre les ressources disponibles de notre marché et les placemens que l’on a offerts au public.

Il nous souvient personnellement qu’il y a quinze ans, lors de la dernière enquête sur le régime des banques et sur la circulation fiduciaire, on examina longuement et minutieusement, au sein de la commission, à quel chiffre pouvaient s’élever les bénéfices nets de la production nationale, les épargnes annuelles de la France. La majorité tenait pour le chiffre de 1,200 millions : les optimistes allaient à 1,500 millions. Les emprunts qui ont suivi la guerre ont mis une masse considérable de rentes aux mains de la portion la plus économe de notre population, de celle qui se fait une loi de maintenir ses dépenses au-dessous de ses gains ou de ses revenus et qui capitalise ses épargnes. On peut donc croire que, malgré nos malheurs, il y a eu progrès, et estimer aujourd’hui à 1,800 millions notre épargne annuelle : on ne saurait apporter aucun argument pour l’évaluer au-dessus de 2 milliards.

Voulons-nous un mode de raisonner plus probant ? Les achats considérables que nous avons dû faire au dehors dans ces dernières