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ont failli prendre une extension véritablement alarmante à la suite d’une loi votée par le congrès des États-Unis, qui attaquait les banques démission américaines, dans leurs conditions d’existence. La baisse sur les fonds fédéraux varia de 10 à 17 pour 100 ; les changes oscillèrent dans les mêmes proportions, et pendant quelques jours le meilleur papier ne trouva à s’escompter à aucune condition. Les banques, de New-York et le gouvernement fédéral avaient envoyé en Europe des ordres pour des achats d’or considérables, et la Banque d’Angleterre se préparait à élever son escompte, lorsque le président Hayes mit fin à la panique qui régnait sur toutes les places, américaines en frappant de son veto le bill malencontreux qui en était l’unique cause. Londres et Paris respirèrent, mais dans la situation des changes, c’était l’encaisse de la Banque de France qui aurait été atteinte plus que toute autre par le contre-coup de la crise américaine.

Comment se peut-il que, malgré les continuels retraits d’or auxquels elle a eu à faire face depuis huit mois, la Banque de France n’ait eu recours à aucune nouvelle mesure défensive ? C’est que l’élévation de l’escompte, au mois d’octobre, avait causé sur le marché de Paris une émotion passagère, mais extrêmement vive, dont on voulait éviter le renouvellement. C’est le loyer de l’argent qui sert de base à tous les calculs de la Bourse comme à ceux du commerce régulier : il y a donc une corrélation inévitable entre le taux de l’escompte et le prix des reports : dès que l’escompte peut offrir une rémunération plus avantageuse que le prêt sur valeurs, une partie des capitaux consacrés à des reports se détourne de la Bourse et s’emploie à négocier le bon papier. Le taux peu élevé de l’escompte pendant une longue période avait amené à la Bourse de nombreux capitaux, en quête d’un emploi plus fructueux et dont l’affluence avait permis à la spéculation sur les valeurs de prendre un grand essor. L’élévation du taux de l’escompte ne pouvait manquer d’entraîner une hausse dans le prix des reports et une baisse correspondante dans le prix des valeurs. Or il y avait un spéculateur tout-puissant qui avait un grand intérêt à ce que le loyer de l’argent demeurât très bas et à ce qu’aucun changement ne fût apporté-dans les conditions du marché des capitaux : c’était l’état, qui négociait tous les jours des obligations sexennaires, qui, pour en mieux assurer le placement, maintenait l’intérêt des bons du trésor à un taux dérisoire et propre à en éloigner les capitaux, enfin qui avait à émettre un emprunt d’un milliard.

Ce fut donc l’état qui se chargea de trouver un expédient pour alimenter d’or les caisses de la Banque et dispenser cet établissement d’une nouvelle élévation de l’escompte. Personne n’ignore que,