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a trente ans, a réellement amorti. Les États-Unis, depuis quinze ans, maintiennent courageusement des impôts qu’ils pourraient supprimer, afin de pouvoir consacrer annuellement au moins 250 millions d’excédens de recettes à l’extinction de leur dette ; ils ont diminué de 4 à 5 milliards le capital de cette dette et de plus de 300 millions les arrérages qu’ils ont à payer. Là aussi il y a amortissement, et même l’amortissement le plus rapide et le plus merveilleux que l’histoire ait enregistré. En sommes-nous là ? Il suffit d’ouvrir le budget pour se convaincre par ses yeux que notre dette générale n’a décru ni en capital ni en intérêts.

On a remboursé des sommes considérables, cela ne saurait être contesté ; mais avec quel argent a-t-on effectué ces remboursemens ? Avec de l’argent disponible, libre de toute affectation et, suivant l’expression populaire, qui ne devait rien à personne ? On ne l’oserait dire. On a emprunté de la main droite pour payer de la main gauche quand on ne renouvelait pas directement avec les créanciers de l’état ; et quand, pour éteindre des obligations arrivées à échéance, on a dû prélever pareille somme sur les émissions en rente amortissable, on a transformé une dette à court terme en une dette à longue échéance. Le renouvellement pur et simple a dû être le cas le plus fréquent. Dans la récente discussion du budget, M. le ministre des finances, après avoir dit que les engagemens à court terme du trésor montaient à 170 millions pour 1882, a ajouté que dans le budget de 1883 il faudrait prévoir pour le budget de la dette flottante une dépense de 210 millions au moins. Un accroissement aussi soudain et aussi considérable ne peut recevoir que deux explications : ou la nécessité de multiplier les renouvellemens a fait refluer sur l’année 1883 une masse d’engagemens non satisfaits, ou l’abus des crédits extraordinaires dans le cours des derniers exercices a entraîné un continuel recours à la dette flottante. De tous les remboursemens dont il a été fait mention dans la discussion du budget, un seul, les neuf à dix millions remboursés à des porteurs de rente amortissable, a le Caractère d’un amortissement : encore comment oserait-on lui donner ce nom, en songeant qu’on vient d’emprunter 1 milliard en cette même rente amortissable ?

Loin d’amortir, la France accroît sa dette tous les jours et avec une rapidité bien propre à préoccuper les esprits timorés. Dans la lettre qu’il a adressée à M. le président de la république à l’occasion du récent emprunt de 1 milliard, M. le ministre des finances a reconnu que cet emprunt ne suffisait pas à solder complètement les dépenses extraordinaires des exercices 1879 et 1880, qu’il s’en faudrait de 29 millions. Cet emprunt, ainsi absorbé d’avance, ne laisse rien de disponible ni pour le présent ni pour l’avenir. Or le budget extraordinaire de 1881 a été voté à 617 millions et le