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financière, il est impossible de contester que des budgets qui ne sont présentés en équilibre qu’à la condition de rejeter sur les exercices suivans 60 ou 70 millions de dettes échues et exigibles, sont des budgets en déficit. Voici donc encore une nouvelle source d’obscurité pour nos finances : l’impossibilité de savoir, par la seule lecture du budget, si les remboursemens prévus par le ministre des finances embrassent la totalité ou seulement une partie des exigibilités auxquelles le trésor doit faire face ; le chapitre de dépenses relatif à la dette flottante n’apprend rien à cet égard : seul le ministre des finances sait et peut dire quel est le chiffre total des engagemens échus de l’état et quelle proportion de ces engagemens il se propose de rejeter sur les exercices suivans par des renouvellemens. Ce procédé nouveau pour équilibrer les budgets est trop ingénieux et trop commode pour qu’il soit possible d’y voir autre chose que le plus dangereux des expédiens. Il est à désirer qu’on revienne au plus tôt aux saines traditions qui ont présidé pendant un demi-siècle à la gestion de la fortune publique. Le jour où les vicissitudes ministérielles amèneront à la tête de l’administration financière un ministre doué de quelque prévoyance et de quelque virilité, celui-ci fera table rase de tous ces expédiens et de toutes ces finasseries : il éteindra courageusement par un emprunt les obligations de toute sorte et de toute forme qui déroutent les calculateurs les plus attentifs et les plus patiens ; il réduira la dette flottante et les fonds de roulement du trésor aux encaissemens qui sont obligatoires et aux seuls bons du trésor dont le chiffre est arrêté par la loi : il restituera ainsi à nos finances la clarté et la limpidité qu’elles ont perdues : il fera recouvrer au contrôle législatif son efficacité et il rendra la sécurité au pays.


II

Toutefois, le danger le plus grave pour les finances françaises n’est pas dans les pratiques regrettables qui se sont introduites depuis quelques années et qu’il dépend de la sagesse du gouvernement ou de la vigilance des chambres de corriger immédiatement : il est dans la création du budget extraordinaire qui met la France au régime de l’emprunt continu et indéfini. Ce serait une erreur de croire que ce qu’on nomme aujourd’hui le budget extraordinaire ressemble en rien à ce qu’on appelait du même nom dans les dernières années de l’empire. La distinction entre les dépenses ordinaires et les dépenses extraordinaires n’était, sous l’empire, qu’une question de classification ; on inscrivait au budget ordinaire les dépenses qui avaient un caractère permanent ou obligatoire et au budget extraordinaire les dépenses simplement utiles qui étaient