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fondées dans une certaine mesure ? Si le lecteur veut bien ne pas se laisser rebuter par des faits et des chiffres, nous rechercherons ce qu’il faut penser de la confiance un peu téméraire dont la spéculation française fait preuve et des prédictions peu rassurantes qui nous viennent de l’étranger.


I

Quelle est la situation des finances ? Telle est évidemment la première question que nous ayons à examiner, puisque le crédit de l’état est la mesure de la fortune publique et l’élément régulateur du marché. Le rapporteur-général du budget de 1882 vient de faire de cette situation la peinture la plus brillante. Un milliard de dettes amorti en quatre années, 300 millions d’impôts supprimés pendant la même période, un budget en équilibre, et l’espérance de plus-values qui consolideront cet équilibre et permettront de nouveaux dégrèvemens d’impôts : tel est le tableau qu’on nous présente. L’approche des élections générales n’a-t-elle pas agi sur l’esprit du rapporteur, et cette préoccupation ne l’a-t-elle pas conduit à forcer les couleurs ? Si M. Thiers pouvait sortir de la tombe et appliquer sa parfaite connaissance des affaires et sa merveilleuse lucidité à décomposer les divers élémens du budget de 1882, il est permis de douter qu’il arrivât à des conclusions aussi optimistes.

Lorsque M. Thiers fut appelé, par une sorte d’acclamation publique, à prendre la direction du gouvernement, il n’avait pas seulement à trouver les milliards nécessaires à la libération du territoire, il avait à acquitter la plus grande partie des dépenses de la guerre, et il fallait aussi pourvoir à la reconstitution de notre matériel ainsi qu’à la mise en état de défense de nos frontières. L’ensemble de ces dépenses ne pouvait être évalué au-dessous de 10 à 12 milliards. M. Thiers accepta courageusement ce fardeau. Il demanda au pays de s’imposer les sacrifices nécessaires non-seulement pour faire face à toutes les dépenses du budget et aux charges des emprunts à contracter, mais pour avoir un excédent de recettes de 200 millions. Cet excédent devait être employé à rembourser en cinq années le milliard avancé à l’état par la Banque de France. Ce remboursement, en permettant à la Banque de renoncer au cours forcé de ses billets et en replaçant la circulation fiduciaire sur des bases solides et indiscutables, devait restituer à notre commerce les ressources et les facilités dont il avait besoin pour reprendre son essor. La Banque remboursée, les 200 millions d’excédent devaient constituer un fonds d’amortissement destiné à éteindre la dette créée par la guerre ; les réductions apportées annuellement dans les charges de la dette par l’action d’un fonds