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Concorde la garde nationale et la garnison de Paris, j’escortais la frêle dépouille d’Henri Rolland de Villarceaux, mort deux jours avant. Les cousins d’Isis étaient là mêlés à la famille et aux amis de ce pauvre enfant dont le livre de la vie se fermait brusquement à la préface. Nous étions désespérés, car à lui plus qu’à tout autre on aurait pu dire : Tu Marcellus eris ! Louis de Cormenin lui a consacré des lignes qu’il faut citer : « Henri Rolland, s’il se fût essayé dans le roman, eût été un auteur intime très humoristique, quoique retenu ; comme poète de ballets et de fantaisies en vers, il se fût approché de Gozzi. Réel dans l’impossible, sensé dans l’extravagant, son caprice n’allait pas jusqu’à l’écart. Hoffmann, Henri Heine et Marivaux, les ingénieux, les délicats, les jolis raffinés de la plume entraient dans son tempérament à la fois tendre et fantasque. Sa langue, indécise encore, flottait autour de sa pensée comme une ondoyante et souple draperie. C’était une sensitive blessée[1]. »

De tous les jeunes gens qui composaient le groupe des cousins d’Isis, Rolland de Villarceaux est celui auquel le meilleur avenir littéraire était réservé ; il eût été plus loin et surtout plus haut que Paul de Molènes. Il avait des qualités exceptionnelles d’analyse et de discernement ; sa vocation l’appelait vers le théâtre : il y eût été un maître ; l’expérience lui eût conseillé de grossir un peu sa manière, afin d’être compris du public, auquel il faut montrer les choses à travers une loupe, auquel il faut parler à l’aide d’un porte-voix. De tous les espoirs que contenait ce petit être mièvre et féminin, il ne reste aujourd’hui qu’un peu de poussière et un nom dont se souviennent ceux qui l’ont aimé. A l’époque où je le rencontrai, au temps de ma vingtième année, il était très vivant avec des défaillances subites et des besoins d’action que le misérable état de sa santé réduisait souvent à des désirs stériles. Il aimait le XVIIIe siècle avec passion, non pas dans ses grands auteurs, mais dans les petits poètes, dans les roués rimailleurs, dans les faiseurs de bouquets à Chloris. Un jour, il accourut chez moi tout joyeux ; il venait de découvrir le quatrain de Saint-Aulaire et le répétait à satiété. Ce côté un peu puéril de son esprit s’affaiblissait de jour en jour et aurait fini par disparaître pour faire place aux préoccupations du travail élevé ; mais alors, en 1842, il était tout à l’admiration de la régence et trouvait que Lafare et Nocé étaient des personnages historiques : rêveries de malade pris dans un corps trop faible et qui dépense en imagination les forces que sa débilité lui refuse. Aussi il aimait à souper, non pas qu’il fût gourmand ni buveur, mais parce que c’était de bon l’on sous Philippe

  1. Les Jeunes Morts, Revue de Paris, décembre 1851, et reliquiœ, t. I.