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la première cité du monde, de la ville de l’intelligence et des arts, une ville livrée pour quelques jours à toutes les exhibitions et à tous les bruits assourdissans ? C’est la seconde fois qu’on célèbre le 14 juillet, et tout est disposé, sous la protection bienveillante du gouvernement, avec le concours des municipalités, pour la plus vaste organisation de joie publique. Rien de plus simple sans doute que ces fêtes ; tous les régimes ont eu leurs fêtes, la république a les siennes. Il ne faudrait cependant pas pousser l’exagération lyrique jusqu’à voir dans ces journées accordées aux plaisirs populaires un spectacle fuit pour réconforter l’âme d’une nation, digne de l’admiration du monde. C’est en vérité voir bien des choses dans des illuminations, des feux d’artifice et des bals de carrefour. De plus, il est bien permis de croire que, si le 14 juillet a été choisi pour une solennité nationale, ce n’est pas absolument une raison pour livrer pendant quinze jours la ville aux spectacles forains les plus bruyans et rendre certains quartiers de Paris inhabitables pour les gens paisibles et laborieux. Les historiographes du nouveau régime trouveront que tout cela est grandiose, que l’empire n’a jamais mieux fait ! C’est peut-être vrai ; jamais sous l’empire ni sous d’autres régimes, on n’a poussé à ce degré le soin d’organiser administrativement les plaisirs du peuple, qui est le roi ou l’empereur du jour. Seulement c’est passablement césarien ; c’est peut-être étrange de proposer à la république l’empire comme un modèle à égaler ou à dépasser, fût-ce dans des fêtes. De modestes libéraux, qui ne souhaitent aucun mal à la république, n’auraient pas imaginé de lui faire ce compliment et de lui proposer de ces exemples.

Lorsqu’il y a quelques mois, une effroyable explosion frappait à mort, en plein Pétersbourg, l’empereur Alexandre II de Russie, les démagogues de l’Europe, sans s’émouvoir autrement, trouvaient ingénieux de démontrer que de tels crimes n’étaient propres qu’aux états monarchiques, que la république était la souveraine sauvegarde contre le fanatisme du meurtre politique. Ces déclamations viennent de recevoir un cruel démenti au-delà de l’Océan. Le président des États-Unis, M. Garfield, en entrant dans un chemin de fer, a été frappé par un meurtrier. Le président américain a passé un instant pour mort, sa vie est encore en danger, et on remarquera qu’en quinze ans, c’est la seconde fois qu’un chef de la république est frappé par un assassin à Washington. M. Garfield est cependant un homme simple, qui ne suscite aucune animadversion, qui n’a pas été mêlé, comme Lincoln, à de terribles événemens. La tentative dont il vient d’être l’objet, si elle n’est l’œuvre d’un fou, ne peut être que le résultat de cette contagion de meurtre qui se répand quelquefois, qui ne connaît pas toujours, autant qu’on le dit, la limite entre les républiques et les monarchies, et qui est toujours également odieuse.


CH. DE MAZADE.