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Les sentiers où les sphinx vous effleurent le front,
Et, le soir, le silence infini qu’interrompt
Un aboiement lointain, triste, sans rien d’intense,
Qui donne un sentiment de l’obscure distance,
Et qu’on entend toujours, plus rare et plus voilé,
Par-delà les jardins, sous le ciel étoile.
Quand on est revenu dans la maison discrète,
Où la lampe s’allume, où le souper s’apprête,
Avec le rire libre ou les graves propos !
Ah ! je sens la fatigue ! ah ! j’ai soif de repos !
J’ai trop vécu, trop vu, trop lutté pour la vie !
Le repos ! le repos ! irrésistible envie !
Un lendemain bien vide, après le jour rempli,
Dans ta moindre vallée, et dans ton moindre pli,
Mature ! un de ces coins que tu gardes peut-être
Pour tes meilleure amis, dignes de le connaître ;
Une roche cachée, un vieux tronc de sapin
Que n’aura pas encor marqués le Club alpin ;
Une case rustique à satisfaire Horace,
Sans fâcheux, sans journaux, Sans lourde paperasse,
Avec l’odeur des foins et le bruit des ruisseaux,
Et le lierre et la rose arrondie en berceaux,
Et, tout le jour, la douce et fière solitude !
Un seul livre, celui de Dieu, pour toute étude ;
Une voix seulement, la tienne ; un seul espoir,
Vivre jusqu’au matin, puis vivre jusqu’au soir !


IV


Car de quoi s’agit-il, après tout ? D’être à même,
De regarder la mort bien en face ! — O dilemme !
Être heureux dans cette ombre, être obscur, être oisif,
Ou bien, dans la fournaise ardente, brûlé vif,
Être quelqu’un, donner son sang, livrer son âme,
S’agiter jusqu’au bout dans l’enfer, dans la flamme,
Lutter encor, lutter toujours, lutter en vain ;
Peut-être se survivre, en tout cas vivre enfin !
Faut-il opter ? Mon choix sans doute serait sage,
Et tu l’approuverais dans ton prochain message !
Qui sait ? peut-être un jour, — et ce jour n’est pas loin, —
Nous viendrons, nous aussi, chercher un petit coin