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attirer des jeunes gens dont la première instruction se bornait, en général, à quelques notions de grammaire et d’arithmétique. Deux chaires de mathématiques, une de physique, une de géométrie descriptive, une d’histoire naturelle, une de chimie, une d’agriculture, deux de géographie, une d’histoire, une de grammaire générale, une de morale, une de littérature, une d’analyse de l’entendement humain et une d’économie politique, et dans ces chaires, quels hommes ! Lagrange, Laplace, Monge, Daubenton, Berthollet, Laharpe, Carat, Volney, Bernardin de Saint-Pierre ! en vérité, l’effort n’était pas en proportion de la difficulté de l’entreprise. Tant de science et de talens n’étaient point nécessaires pour former des maîtres d’école et de bons cours normaux, des conférences d’un caractère pratique, auraient été bien autrement utiles que les grandes leçons de ces illustres professeurs.

« Ces leçons, a dit M. Cousin, étaient plutôt des discours académiques que des conférences propres à instruire. » Il y a peut-être quelque exagération dans ce jugement. En parcourant les douze volumes dont se compose le recueil qu’on en a fait, on trouve beaucoup de morceaux qui n’ont rien d’académique ; mais en revanche on en rencontre bien peu qui soient à la portée d’intelligences moyennes.

Sous le rapport de l’enseignement comme sous celui de la discipline, l’école normale de l’an III ne répondait donc en aucune façon à la pensée dont elle était née : elle eût peut-être à la longue suscité quelques vocations scientifiques ; elle était incapable de donner à la république les instituteurs dont elle avait besoin. Aussi n’y avait-il pas encore trois mois qu’elle fonctionnait que de tous côtés on en réclamait déjà la fermeture, et qu’un député, Thibaut, en faisait la proposition. Le débat ne fut pas long : « Il y a une infinité d’élèves qui ne vont pas à l’école, dit un représentant… le but de l’institution est manqué. » — « Il l’est absolument, ajouta Romme ; je ne vois dans l’institution actuelle que le charlatanisme organisé, j’en demande la suppression. » Oui ! oui ! s’écrièrent une foule de voix.

Cependant les membres du comité d’instruction publique gardaient un silence embarrassé. Quelqu’un en fit l’observation. Daunou se décida alors à monter à la tribune. On s’attendait à un discours : on eut une courte oraison funèbre. « Je ne me dissimule pas, dit l’orateur du comité, que les leçons, plus dirigées vers les hauteurs des sciences que vers l’art d’enseigner, n’ont pas eu un caractère vraiment normal. » Et il concluait en demandant la clôture de l’école pour le 30 prairial. Le délai parut encore trop long. « Les plus courtes folies sont les meilleures, » dit une voix. Et la fermeture fut fixée à la fin du mois courant, au 30 floréal.