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dit le Moniteur, « à faire sentir que, décréter la liberté d’enseignement, ce serait entretenir une distinction odieuse entre le riche et le pauvre et laisser celui-ci dans un galetas comme auparavant, » mais il ne paraît pas que ce discours ait fait grande impression : visiblement la convention était en grande majorité tournée d’un tout autre côté, et ce fut à la presque unanimité que le projet de Bouquier devint le décret du 29 frimaire an II.

Un seul changement, d’importance à vrai dire, y fut introduit : « Les pères, mères, tuteurs ou curateurs pourront envoyer leurs enfans ou pupilles aux écoles du premier degré d’instruction, » disait le texte primitif. Un membre, Charlier, proposa de substituer à cette rédaction celle-ci : « Seront tenus d’envoyer, » etc. Dans l’état d’esprit où se trouvait la convention, le sort de cet amendement n’était rien moins qu’assuré : l’énergique intervention de Danton le sauva. On a souvent cité les paroles qu’il prononça dans cette circonstance : « Il est temps de rétablir ce grand principe qu’on semble méconnaître, que les enfans appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parens. » Le vote de la convention tranchait du même coup deux graves questions, celle de la liberté d’enseignement et celle de l’obligation : nous sommes moins avancés aujourd’hui, après quatre-vingt-dix ans d’efforts et de luttes. Comment ce grand résultat avait-il été obtenu ? Comment surtout la même assemblée, les mêmes hommes, qui s’étaient naguère si nettement prononcés pour le plan d’éducation de Lepelletier, étaient-ils devenus tout à coup si libéraux ? Il faut chercher l’explication de ce phénomène dans les circonstances au milieu desquelles il se produisit. Lorsque la discussion qu’on vient de résumer s’ouvrit, Robespierre et le comité de salut public venaient précisément de faire, l’un, sa fameuse profession de foi déiste, l’autre, son manifeste « contre les extravagances du philosophisme » et en faveur de la liberté des cultes. On commençait à être las, même aux Jacobins, de la débauche d’athéisme et des exploits de la populace contre le culte et les églises. La déesse Raison avait réconcilié beaucoup de gens avec le bon Dieu. Bref l’opinion dominante, à ce moment, opinion exploitée par Robespierre avec beaucoup d’habileté, était à la réaction. Le projet de Bouquier bénéficia de ces dispositions : inscrire dans la loi le principe de la liberté d’enseignement, c’était implicitement rendre aux prêtres le droit de tenir école et, dans une certaine mesure, restituer à la religion un peu de son ancien domaine. C’était, pour la convention, pour les jacobins, un moyen de se réhabiliter aux yeux de ceux qui leur reprochaient de voir livré Dieu lui-même en pâture aux outrages de la foule. On cherchait une occasion, il s’en présentait une ; on la saisit.

Le décret du 9 pluviôse an II. — Il y avait longtemps que de