Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouvriront des écoles dans les communes de la république, quelle que soit leur population, recevront annuellement pour chaque enfant ou élève : savoir, l’instituteur la somme de 20 livres ; l’institutrice 15 livres. »

Ainsi, d’une part, un projet qui supprimait toute concurrence, créait plusieurs catégories d’incapacité, élargissait démesurément le champ de l’instruction primaire et mettait à la charge de l’état une dépense énorme ; d’autre part, un projet qui consacrait le principe de la liberté d’enseignement sans réserves et sans exclusions d’aucune sorte, ramenait les études à de justes proportions et n’obérait pas trop les finances, c’est en ces termes que la question se posait. La discussion fut vive, ardente : Thibaudeau, Fourcroy, Danton lui-même, y intervinrent ; les deux premiers surtout se prononcèrent avec beaucoup d’énergie dans le sens de la liberté.

Il faut citer ces discours ; ils sont curieux au point de vue du revirement qu’ils indiquent qui s’était produit dans les idées de la majorité de la convention et même des Jacobins[1]. « Le plan présenté par le comité et qui n’est à peu près qu’une copie de celui de Condorcet, dit Thibaudeau, me paraît plus propre à propager l’ignorance, l’erreur et les préjugés qu’à répandre les lumières. C’est un gouvernement pédagogique que l’on veut ainsi fonder dans le gouvernement républicain, une nouvelle espèce de clergé. Le comité veut une école primaire, c’est-à-dire un instituteur et une institutrice depuis quatre cents individus jusqu’à quinze cents, ce qui en donne au moins quatre-vingt mille pour le premier degré d’instruction. Il veut leur assurer à tous un traitement fixe de 1,000 à 2,400 fr., ce qui ferait une dépense annuelle de plus de 100 millions. Il propose ensuite une commission d’éducation par chaque district, composée de cinq membres, ce qui augmente encore cette armée de 2,750 individus ; ajoutez-y 80,000 magistrats des mœurs et les professeurs des instituts, des lycées, les frais d’établissement de toutes ces écoles. Je demande à tout homme de bonne foi si, avec des institutions de cette sorte, nous ne nous rendrions pas la fable de toute l’Europe…

« Le système de créer des places fixes d’instituteurs et d’assurer leur salaire sans proportion avec leur travail est le moyen le plus sûr de n’en avoir que de mauvais, car alors les hommes ne verront plus que les places et le traitement qui y sera attaché ; ils ne seront plus stimulés par l’émulation qui naît de la concurrence…

« D’ailleurs, poursuivait Thibaudeau, ce système n’est-il pas effrayant pour la liberté ? La révolution vient de détruire toutes les

  1. Fourcroy en était alors président.