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batellerie fluviale pourra dès lors se mettre en contact avec la batellerie maritime aux ports de Marseille, de Cette, de Bouc, de Saint-Louis et d’Aigues-Mortes. Les deux ports principaux de la Méditerranée, Marseille et Cette, attireront sans aucun doute à eux la majeure partie du trafic du Rhône ; mais le mouvement se fera nécessairement sentir dans les petits ports voisins, qui sont depuis longtemps dans un état de dépérissement lamentable. La transformation de notre matériel naval, l’introduction de la vapeur, la facilité de trouver dans le commerce, les grandes compagnies industrielles ou les emplois publics une carrière facile et un avenir plus assuré ont détruit, même chez les populations littorales, le goût de la vie de mer. La voile a presque partout disparu et avec elle ce mystérieux attrait caché dans ses replis. La régénération des ports secondaires peut seule nous arrêter sur cette pente funeste. Les intérêts du commerce, de l’industrie et de l’agriculture sont donc ici les mêmes que ceux de notre marine marchande et militaire ; et, puisque la nature a éloigné de l’embouchure de notre grand fleuve les ports de la région méditerranéenne, il faut que l’art, par des dérivations intelligentes, leur conduise ce fleuve qui leur manque et en fasse à la fois, comme de tous les grands ports de commerce du monde, des têtes de lignes de chemins de fer et des têtes de lignes de canaux de navigation.

La mer est toujours favorable à ceux qui vont la chercher : Favet Neptunus eunti. Telle est la devise que la ville de Nantes, fière de sa large embouchure de la Loire, porte sur ses armes. Telle doit être aussi celle de la vallée du Rhône. Marseille, Cette, Aigues-Mortes, Saint-Louis, l’étang de Berre, reliés au tronc du fleuve rendu navigable et mis ainsi en communication avec le cœur de la France, deviendront les points d’arrivée et de départ de la grande voie de navigation intérieure qui doit unir la Manche au golfe de Lyon. C’est par là seulement que nous pourrons maintenir notre influence maritime et commerciale dans la Méditerranée, faire contrepoids à toutes les trouées de la chaîne des Alpes et résister victorieusement à toutes les tentatives italo-germaniques en vue de déplacer à notre préjudice le transit du nord de l’Europe avec l’Afrique, l’Asie et l’extrême Orient.


CHARLES LENTHERIC