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d’un ancien oppidum du nom de Maritima, qui appartenait à la tribu des Avatiques. Mais on est encore réduit aux conjectures sur l’emplacement de cette petite colonie. Bouche, le savant auteur de la Chorographie de Provence, suppose qu’elle devait correspondre à Berre ou à Marignane, « toutes les deux, dit-il, ayant marques de grandes villes pour la beauté, la bonté et la grandeur de leur terroir. » Cette opinion ne repose, à vrai dire, sur aucune donnée sérieuse, et il est assez probable que l’ancienne mer des Avatiques était ce grand bassin intérieur formé de la réunion des cinq étangs de Poura, de Cytis, d’Engrenier, de Lavalduc et de l’Estomac. Sous ce dernier nom un peu ridicule, mais qu’il convient de prononcer et d’écrire suivant l’idiome provençal lou stoma, on reconnaît immédiatement le stoma limné de Strabon (στόμα (stoma), bouche, — λίμνη (limnê), étang), qui communiquait alors librement avec la mer par un grau largement ouvert et que les géographes regardaient comme une des bouches mêmes du Rhône à l’époque où toute la région littorale était inondée par les grandes eaux du fleuve dépourvu de digues.

L’état des lieux s’est considérablement modifié depuis dix-huit siècles. Les atterrissemens ont exhaussé le fond de ces étangs qui n’en formaient autrefois qu’un seul ; deux d’entre eux, l’étang de Poura et celui de Cytis, se sont presque desséchés et ont été transformés en salines ; ceux de Lavalduc et d’Engrenier, véritables caspiennes en miniature, sont des bassins tout à fait fermés dont les eaux, sursaturées de sel, dorment à plus de 7 mètres en contre-bas de celles du golfe de Fos et alimentent quelques fabriques de produits chimiques établies sur leurs bords. Seul, l’étang de la Bouche ou de l’Estomac communique encore avec la mer par des filtrations souterraines, et ses eaux se maintiennent au même niveau que celles de la Méditerranée.

Au milieu de toutes ces transformations, l’étang de Berre, entouré de tous côtés par des collines abruptes, est le seul point de la côte qui n’ait pas subi de modifications depuis l’origine de notre ère ; mais la navigation moderne ne le fréquente guère plus que la navigation ancienne ; et c’est à peine si, de loin en loin, on voit flotter à la surface de cette magnifique nappe d’eau quelque voile perdue. Il est vrai de dire que jusqu’en 1844, on n’avait fait aucun relevé du fond de cette petite mer intérieure. Nul n’avait pris la peine de l’explorer sérieusement, lorsque, sur l’initiative de l’amiral prince de Joinville, l’hydrographie en fut faite pour la première fois par les ingénieurs de la marine. On avait cru jusqu’alors, on croit même encore aujourd’hui, — tant l’erreur et le préjugé sont difficiles à déraciner, — que ce n’était qu’une cuvette sans profondeur, sujette