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gouvernement et l’amélioration de cette voie d’eau jusqu’à Cette aura tout d’abord pour résultat de rappeler la vie dans le bassin d’Aigues-Mortes qu’elle rencontrera sur son passage et qui pourra devenir un véritable Newcastle français, c’est-à-dire le port naturel d’exportation de nos charbons du Gard et de la Loire, et d’importation des minerais d’Espagne, d’Afrique et de l’île d’Elbe.

Quant au port de Cette lui-même, dont le tonnage a doublé en moins de dix ans et atteint aujourd’hui près de deux millions de tonnes, il deviendra ainsi le point d’arrivée et de départ de la grande ligne navigable qui traverse la France du Nord au Midi. L’étang de Thau forme en arrière du port une admirable rade couverte, et dans ses eaux tranquilles, la batellerie du Rhône pourra aisément ranger bord à bord les navires de mer.

La ville de Marseille, de son côté, rêve un projet plus grandiose encore. Il ne s’agit de rien moins pour elle que de creuser un canal de navigation qui partirait du Rhône même et viendrait aboutir au port de la Joliette. On commencerait d’abord par descendre le Rhône maritime en aval d’Arles jusque vis-à-vis l’ancienne baronnie de Chartrouse ; le canal s’ouvrirait ensuite à travers les terres basses du Plan-du-Bourg et les zones marécageuses du Bras-mort, et viendrait se souder au canal actuel de navigation d’Arles à Bouc, que l’on restaurerait d’une manière convenable en exécutant ainsi une partie des projets présentés par les ingénieurs il y a plus de trente ans. Le port de Bouc, qui se trouverait ainsi à mi-chemin entre Arles et Marseille, serait transformé et aménagé à nouveau. De Bouc à Marseille, on taillerait dans le neuf ; le canal traverserait une partie de l’étang de Berre, passerait en souterrain au-dessous de la chaîne de l’Estaque, comme le fait aujourd’hui le chemin de fer au tunnel de la Nerthe, côtoierait ensuite la ligne du rivage en se développant latéralement à la mer, de manière à desservir tous les petits havres de la côte et à former des garages aux centres industriels les plus importans ; il viendrait enfin se souder à cette série de grands bassins extérieurs qui forment la magnifique ceinture maritime de la ville phocéenne.

L’entreprise est grande sans doute ; elle a pu paraître pendant quelque temps une utopie à certains esprits timides et circonspects ; mais aujourd’hui on commence à en regarder la réalisation comme très possible. La chambre de commerce et les conseils électifs des Bouches-du-Rhône la réclament d’ailleurs avec toute l’ardeur que les méridionaux mettent dans les affaires qui les passionnent. Ils font plus encore et ils font mieux ; ils ne craignent pas de s’engager à contribuer pour 20 millions à l’exécution de ce projet gigantesque qui n’en coûtera pas moins de 80 et