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à ce sujet, le doute n’est malheureusement plus permis aujourd’hui.

La comparaison des sondages exécutés en 1841 et en 1872 fait naître les plus légitimes appréhensions. Les fonds se sont considérablement exhaussés ; l’eau du golfe est devenue moins salée ; pendant les mers calmes, on voit les eaux blanches et laiteuses du Rhône couvrir entièrement la rade et venir jusque dans le port de Bouc. Là où on relevait il y a vingt ans des profondeurs de 20 à 30 mètres, on trouve des couches de vase récente et des fonds qui varient de 1 à 10 mètres ; dans l’est du grau de Peygoulier, qui marque l’embouchure du grand Rhône, on a constaté en 1872 des hauts-fonds de 1m,20 à la place où les cartes hydrographiques de 1841 accusaient 23 mètres ; et cette décroissance des fonds va progressivement jusqu’au canal lui-même. On a pu ainsi relever la présence d’une véritable montagne sous-marine à talus très adoucis et que les apports du fleuve étendent et augmentent tous les jours ; et la mission hydrographique envoyée en 1872 aux embouchures du Rhône a constaté d’une manière indéniable que, pour retrouver les fonds inaltérés du golfe tels qu’ils étaient en 1841, il fallait dépasser à l’est le méridien de la petite ville de Fos.

Les trois cinquièmes de la rade sont donc dès maintenant envahis par les atterrissemens ; Le mal est considérable, toujours croissant ; et il semblerait devoir conduire le canal Saint-Louis à une ruine prochaine et fatale, avant même qu’il ait pu servir à la navigation, s’il n’était heureusement facile de le conjurer ou tout au moins de le diminuer en rejetant toutes les eaux du Rhône dans l’un des bras secondaires qui sont le plus éloignés du golfe de Fos. Les ingénieurs et les marins héritent entre le grau de Roustan et celui de Piémanson ; . mais tous s’accordent pour que cette déviation ait lieu vers l’ouest et qu’elle soit exécutée le plus tôt possible. On a même lieu d’espérer qu’elle aura un double résultat ; d’une part, en effet, elle sauvera de l’ensablement le canal Saint-Louis, le golfe de Fos et le port de Bouc ; de l’autre, en rejetant les eaux boueuses du Rhône sur la côte sablonneuse de la Camargue, qui est aujourd’hui corrodée et menacée par les attaques de la mer, elle distribuera le long de cette côte de nouveaux apports limoneux et permettra de la reconstituer à nouveau.

On le voit donc ; malgré les travaux exécutés, la question des embouchures du Rhône n’a pas encore reçu de solution tout à fait satisfaisante. L’endiguement, qui commençait à donner d’excellens résultats, a été interrompu, et la barre a reparu comme par le passé. Un canal latéral a été ouvert à la base du delta ; malheureusement il se trouve dans un désert fiévreux, loin de tout centre habité, privé