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l’endiguer entre deux jetées, de construire chaque année plus de 700 mètres de digues. Mais tout autre est le Rhône. La loi de l’avancement des embouchures du fleuve a été étudiée de la manière la plus sérieuse ; et, soit qu’on ait pris pour point de comparaison les cartes les plus anciennes, soit qu’on ait cherché à se rendre compte par le calcul et par des observations directes de la progression annuelle des deux rives, on est arrivé à conclure que le taux d’avancement du fleuve en mer, qui est en moyenne de 40 mètres depuis 1812, suit une marche régulièrement décroissante. Ce décroissement est facile à expliquer ; car les bouches, à mesure qu’elles s’avancent vers le large, plongent dans une mer plus profonde, et les sables et les limons qu’elles y versent en quantité à peu près constante offrent, par suite de la saillie du fleuve, une prise de plus en plus grande aux vagues des tempêtes, aux coups de mer et aux courans littoraux.

On peut en effet regarder comme certain, fait remarquer avec beaucoup de sagacité M. l’ingénieur Surell, que, si le Rhône abandonnait ses bouches actuelles, le promontoire qu’elles forment aujourd’hui serait bientôt repris par la mer. L’embouchure du Petit-Rhône le démontre. Ce bras a toujours été en s’affaiblissant depuis plusieurs siècles. En perdant ainsi ses forces, il a d’abord cessé d’empiéter sur la mer, ses atterrissemens ont à peine suffi à faire équilibre à ses pertes. Puis l’affaiblissement a continué, le fleuve a été impuissant à maintenir sa bouche saillante, et on la voit aujourd’hui reculer.

La mer travaille donc sans relâche à effacer les promontoires que projettent les embouchures, et l’énergie de ses attaques croît avec la saillie même de ces sortes d’épis. Ce n’est qu’à force d’atterrissement que le fleuve résiste à cette corrosion qu’on a si bien appelée la morsure-des flots, et en définitive la domine. Mais, comme la masse d’alluvions charriées est constante quel que soit rallongement des embouchures, tandis que les forces de la mer vont toujours en croissant, il doit arriver une limite d’équilibre, où les deux effets se balancent et où la marche du fleuve s’arrête nécessairement.

Le prolongement en mer des deux jetées d’enrochemens qui devraient accompagner les deux berges du Rhône ne saurait donc être qu’une dépense relativement assez faible ; et cette dépense est tout à fait comparable à celles que l’on fait pour le dragage dans les rivières et dans les ports, pour le renouvellement des empierremens sur les routes et en général pour l’entretien de tous les travaux d’utilité publique qui ont besoin d’être réparés ou renouvelés toutes les années.