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séparation du fleuve et de la mer ; mais on pouvait en abaisser le seuil, en modifier la forme et surtout donner un peu plus de hauteur à la lame d’eau qui le recouvre. Cette hauteur d’eau au-dessus des barres est loin d’ailleurs d’être immuable ; elle ne peut pas l’être et elle varie nécessairement avec le volume, la vitesse et la largeur de la tranche d’eau qui doit passer dessus. La solution du problème était sans doute délicate, entourée même de difficultés et d’incertitudes, mais elle n’était pas à coup sûr impossible.

On savait d’ailleurs par les témoignages de tous les mariniers d’Arles que, vers 1810, la passe du fleuve s’était maintenue sur une bonne profondeur pendant plusieurs années par suite de l’affaiblissement spontané de tous les bras, sauf d’un seul ; d’autre part, comme rien ne règle le cours d’un fleuve dans la région des embouchures où les eaux sans vitesse s’écoulent lentement à la mer par des branches variables, séparées par des terres basses, très meubles, aux contours mal définis et à chaque instant submergés, les moindres crues suffisent pour porter dans un bras ou dans l’autre le plus grand volume d’eau. On voit à chaque instant se combler des passes anciennes et un nouveau chenal s’établir à l’endroit même où le fleuve était le plus envasé : il est donc à peu près certain qu’en concentrant sur un seul point tout l’effort des eaux, on peut obtenir sur la barre une chasse assez énergique pour la refouler et l’abaisser. On ne saurait en effet admettre raisonnablement que le Rhône soit condamné à n’avoir jamais que 1m,80 de profondeur à la passe, après que l’endiguement aura changé d’une manière radicale les conditions d’équilibre dans lesquelles cette profondeur s’est établie. La concentration de toutes les eaux dans un même lit ne peut manquer d’avoir pour effet la modification de la situation actuelle ; ce n’est plus le même fleuve, c’en est un nouveau, plus puissant, lancé dans la même mer, sur la même barre ; et il est évident que le seuil sous-marin doit s’abaisser sous l’action de ce courant qui produira le même effet que les chasses de retenue dans les ports de l’Océan.

Tels étaient en substance les argumens, — et nous avouons qu’ils sont des plus sérieux, — qui militaient en faveur de l’amélioration directe des embouchures. Une des objections en apparence les plus graves était qu’il serait nécessaire de prolonger à chaque instant les jetées du fleuve au fur et à mesure de l’avancement des embouchures. Mais M. Surell faisait observer avec raison que cette objection ne pouvait avoir de valeur sérieuse que pour les fleuves qui empiètent sur la mer avec une très grande rapidité. Tel est, par exemple, le Mississipi, qui s’avance annuellement de près de 360 mètres, ce qui obligerait, si on voulait