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de ces anciens gardiens du Rhône qui étaient préposés, sous la domination romaine, à la navigation du fleuve, chargés, communes pilotes lamaneurs, de diriger la manœuvre des navires à-leur entrée, et dont le chef, qui portait le titre de comes ripœ Rhodani, résidait à Arles, ainsi que semblent le prouver quelques monumens lapidaires conservés dans le musée de cette ville.

Quoi qu’il en soit, à partir de Chamone, le fleuve devenait tout à fait maritime, serpentait autour des theys nouvellement formés, se dirigeait vers l’ouest à travers les plaines basses et les marécages de l’appareil littoral et suivait la direction qu’on a appelée depuis le Bras de fer ou le canal du Japon. Au commencement du XVIIIe siècle, cette branche du fleuve très sinueuse avait près de 30 kilomètres de développement, alors que la distance d’Arles à la mer n’était à vol d’oiseau que de 7 à 8 kilomètres, et elle débouchait sur la grande plage déserte de la Camargue, où l’on devait construire en 1836 le phare de Faraman.

La situation changea brusquement en 1712. Le lit actuel n’existait pas encore, et à sa place se trouvait un groupe d’étangs salés dans lesquels les faux-sauniers fabriquaient en grande quantité du sel de contrebande. Les fermiers des gabelles royales avaient un puissant intérêt à ruiner ces salines ; le meilleur moyen était de les inonder d’eau douce ; à cet effet, ils avaient construit un petit canal qui y conduisait les eaux du Rhône et qu’on désignait sous le nom de canal des Lones. Mais une crue subite et violente du fleuve élargit la prise d’eau du canal ; le Rhône y fit irruption, y trouva un lit tout tracé qui le conduisait droit à la mer avec une pente beaucoup plus forte et qui ne présentait qu’une longueur de 9 kilomètres. Le fleuve ne le quitta plus ; tous les efforts que l’on fît pour le faire rentrer dans son ancien lit furent inutiles. La direction de la grande bouche du Rhône était désormais changée ; un courant énergique s’établit dans le nouveau bras et la hauteur de la barre fut immédiatement abaissée. En 1785, les navires de mer y passaient à pleine charge sans trop de difficultés. Les anathèmes de Vauban et de Barras de Lapenne contre les embouchures furent oubliés, et on ne songea plus qu’à accommoder la navigation à la nouvelle porte que le Rhône s’était ouverte à lui-même.

La ville d’Arles, d’ailleurs, avait été toujours contraire à l’établissement d’un canal latéral qui aurait pu avoir pour conséquence de faire abandonner son beau fleuve. La plupart des ingénieurs ne regardaient pas comme absolument impossible l’amélioration directe des passes ; et les meilleurs esprits pensaient que l’on pourrait obtenir un approfondissement durable si on faisait concourir dans un seul bras toutes les eaux qui divaguaient aux embouchures. Les