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de distance en échangeant de terribles bordées. Revenant sur ses pas, le Huascar s’acharna après son adversaire, décidé à le mettre hors de combat avant l’arrivée du Blanco Encalada, qui accourait en toute hâte. En moins d’une heure, le Huascar fit vingt-cinq décharges de ses pièces de 300 sur le Cochrane, qui ripostait avec énergie, lui barrant résolument la route. A onze heures, le Blanco Encalada entrait en ligne et ouvrait le feu contre le Huascar.

Sur son avant, les projectiles n’avaient pas de prise ; l’arrière était sa partie vulnérable : l’amiral chilien concentra sur ce point le tir de ses pièces de 300 et réussit à démonter son gouvernail. Vainement l’équipage du Huascar essaya de le réparer. Les matelots chiliens, postés dans les hunes, balayaient le pont par d’incessantes décharges de mousqueterie. Le monitor péruvien ne gouvernait plus ; épave ballottée par les flots, il combattait toujours. A toutes les sommations de se rendre et d’amener son pavillon, il répondait par les feux de sa tourelle blindée. Renfermé dans ce poste périlleux, l’amiral Grau soutenait une lutte désespérée. Sur l’ordre de l’amiral chilien, les deux cuirassés dirigèrent simultanément leur tir sur la tourelle. Un obus finit par la transpercer, et l’amiral Grau fut tué sur le coup.

L’amiral mort, toute résistance semblait inutile, mais l’équipage du Huascar était résolu à périr plutôt que de se rendre. Le capitaine Elias Aguirre prend le commandement et s’établit dans la tour blindée. Acharnés à la lutte, exaspérés par le combat, les adversaires échangeaient leurs coups meurtriers à une distance de 300 mètres. Le Blanco Encalada, sur l’ordre de La Torre réussit même à s’approcher jusqu’à 10 mètres pendant qu’on rechargeait à l’intérieur une des pièces du Huascar. Dans l’embrasure béante il décharge un obus de trois cents livres qui éclate dans la tourelle, tue le commandant Elias Aguirre, les servans des pièces et démonte un des canons du Huascar. Il n’en restait plus qu’un seul en état de service. C’est assez pour continuer la lutte. Le capitaine de pavillon Garbajal la dirige. De nouveaux servans pénètrent avec lui dans la tourelle, le feu reprend plus lent, mais soutenu, jusqu’au moment où un obus du Cochrane, pénétrant par la brèche ouverte, fait éclater le blindage, blesse Garbajal et tue les servans. Il était onze heures, le combat durait depuis deux heures. Le pont du Huascar inondé de sang, la tourelle encombrée de cadavres, attestaient l’héroïsme de la lutte ; les mâts brisés ne permettaient plus d’utiliser les mitrailleuses dans les hunes ; pourtant le Huascar combattait toujours avec son unique pièce, et le lieutenant José Rodriguez soutenait l’ardeur des combattans. Une décharge de mousqueterie, partie des hunes du Cochrane, l’abattit sur le pont.