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III

La nouvelle de l’occupation d’Antofagasta par les troupes chiliennes provoqua au Pérou une émotion plus vive encore qu’en Bolivie. La guerre était le vœu de la population ; la presse, en y poussant, n’était que l’écho de l’opinion publique, surexcitée et confiante dans le succès. Vainement quelques voix modérées s’élevèrent en faveur de la neutralité ; leurs sages remontrances furent couvertes par les clameurs belliqueuses de ceux qui voyaient dans une entrée en campagne contre le Chili des victoires, des annexions territoriales, la conquête d’Atacama, le monopole du salpêtre, la solution des difficultés financières au milieu desquelles le Pérou se débattait.

Don Mariano Ignacio Prado, président du Pérou, passait pour être sympathique au Chili. Renversé du pouvoir en 1867 par une de ces révolutions de caserne, si fréquentes dans la plupart des républiques hispano-américaines, il s’était réfugié à Santiago, où il avait vécu huit années ; en 1875, un revirement de l’opinion l’avait rappelé au pouvoir. De son séjour prolongé au Chili, don Ignacio Prado avait rapporté des idées moins superficielles que celles de la plupart de ses compatriotes sur les ressources et la puissance du Chili. Il n’estimait pas que l’annonce seule de l’alliance du Pérou avec la Bolivie frapperait le Chili de terreur, ainsi que le prédisaient les feuilles publiques, et l’amènerait à solliciter humblement la paix. Mais, d’autre part, il n’avait ni la fermeté de caractère ni l’autorité nécessaires pour se mettre résolument à la traverse des événemens. Le souci de sa popularité péniblement reconquise, l’expérience amère de l’exil et des brusques changemens qui, du pouvoir suprême, l’avaient rejeté dans l’obscurité, l’indolence naturelle de son esprit, qui lui faisait trouver plus facile de suivre, en paraissant le diriger, un courant national qu’il ne se sentait pas la force de remonter, la crainte des attaques de la presse, tout le poussait à se constituer l’avocat, en apparence, le plus ardent d’une guerre sur l’issue de laquelle il ne partageait pas l’illusion générale. Toutefois il crut de son de voir de chef d’état d’essayer de détourner la tempête. « Je réponds de la paix, dit-il, si le Chili évacue Antofagasta. » Cette timide velléité de résistance ne pouvait aboutir, non plus que l’offre de médiation faite au Chili, et à laquelle le gouvernement de Santiago répondait en sommant don Antonia Lavalle, plénipotentiaire péruvien, de déclarer si oui ou non le Pérou était lié avec la Bolivie par un traité tenu secret. Vainement don Antonio éludait la question, déclarant « qu’il n’avait pas connaissance de ce traité, qu’il croyait qu’il n’existait pas, mais