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gisemens. Mais ces droits élevés produisirent peu. Ils n’eurent d’autre résultat que de constituer une prime en faveur des salpêtres chiliens, d’en activer la production, d’en encourager l’exportation. Les navires européens désertèrent les ports du Pérou et vinrent charger à Mexillones, à Antofagista, du salpêtre que les compagnies chiliennes livraient à plus bas prix, n’ayant à acquitter, en vertu du traité de 1874, que des droits très modérés.

Pour parer à cette concurrence désastreuse, il n’existait qu’un moyen : persuader au gouvernement bolivien de frapper les salpêtres d’un droit élevé. Le traité de 1874 s’y opposait, mais la Bolivie était obérée, elle aussi ; l’opinion publique y était hostile à l’exploitation chilienne. Cette mesure avait donc pour elle la sympathie du gouvernement et celle de la population.

En fait, ce pouvait être la guerre, mais on n’y croyait pas. Le Chili hésiterait, pensait-on, à se lancer dans les aventures d’une lutte avec la Bolivie, lutte longue et coûteuse, dans laquelle il lui faudrait transporter à travers le désert une armée avec tous ses approvisionnemens, franchir d’immenses espaces stériles, les cols des Andes et entreprendre sur La Paz une marche périlleuse. Le Chili hésiterait bien plus encore si la Bolivie, concluant une alliance offensive et défensive avec le Pérou, pouvait faire entrer en ligne les effectifs militaires et les forces navales de ce dernier. Un traité de cette nature fut la condition mise par la Bolivie à l’aventure dans laquelle le Pérou la poussait. Des négociations s’ouvrirent, le traité fut conclu. On convint de le tenir secret afin de permettre au Pérou d’offrir sa médiation et de ne le déclarer qu’au cas où cette offre serait rejetée par le Chili et la guerre déclarée.

Le 11 février 1878, l’assemblée nationale de Bolivie vota le décret suivant :

« Article unique. — Est approuvée la transaction contractée par le pouvoir exécutif, le 27 novembre 1873, avec le fond de pouvoirs de la compagnie des salpêtres et du chemin de fer d’Antofagasta, à la condition que soit rendu effectif un impôt minimum de dix centavos par quintal de salpêtre exporté. »

L’assemblée excédait ses pouvoirs. La loi du 22 novembre 1872 avait donné au président et à son cabinet qualité pour régler, à titre définitif, toutes les contestations soulevées sur la validité des concessions. Cette loi dispensait donc la convention conclue le 27 novembre avec la compagnie d’Antofagasta de la nécessité d’une sanction législative. Telle avait été, en effet, l’opinion des assemblées nationales de 1874, 1875, 1876 et 1877. Elles avaient consacré par leur silence et leur implicite approbation la validité d’une transaction sur laquelle l’assemblée de 1878 n’était plus fondée à revenir.