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abandonner Jérusalem. Sous la première domination musulmane, ils y vivaient dans une paix relative, quoique bien souvent interrompue par de cruels accidens. Le régime des croisades les en chassa d’abord presque complètement ; ceux qui purent échapper an glaive, au feu et à la torture se réfugièrent en Syrie et en Égypte ; le siège de l’académie palestinienne fut transféré à Damas, dont les principaux docteurs furent appelés depuis chefs de l’académie de la terre d’Israël, Quand les premières fureurs des chrétiens furent calmées, un grand nombre de Juifs, bravant tous les périls, ne purent résister au désir de fouler de nouveau le sol sacré de la Palestine et de venir pleurer sur les lieux de l’ancien sanctuaire. Les poésies hébraïques de cette époque sont empreintes d’une mélancolie dont l’expression est tellement amène qu’on peut les comparer à ce que la littérature des Hébreux a produit de plus sombre. Je ne résiste pas au désir de citer une élégie de Rabbi lehouda Halévi, l’un des plus illustres écrivains juifs de l’Espagne, qui fît le voyage de Palestine vers 1140. Nulle part l’étonnante séduction que l’aride et lugubre Judée exerce sur l’imagination juive n’a été exprimée avec plus de force, plus de charme et plus d’émotion :


As-tu oublié, ô Sion, tes enfans captifs ? Es-tu insensible au salut que le reste de ton troupeau t’envoie de tous les coins de la terre ? De l’est, de l’ouest, du nord et du sud, l’esclave dirige vers toi un regard plein d’espoir et te porte le tribut de ses larmes ; elles tombent comme la rosée du Hermon ; hélas ! que ne peuvent-elles arroser tes collines désertes ! Quand je pleure ta chute, c’est le cri lugubre du chacal ; mais quand je rêve le retour de la captivité, ce sont les accens de la harpe qui jadis accompagnaient tes chants divins. Mon cœur se transporte dans la maison de Dieu ; là, il s’épanche devant le Créateur. N’est-ce pas là que s’ouvraient les portes du ciel, que la majesté de Jéhova obscurcissait la lune, le soleil et les astres ? Ah ! que ne puis-je verser mon âme là où l’esprit de Dieu descendait sur tes élus ? Tu étais la résidence du roi éternel, et je vois des esclaves assis sur le trône de tes princes.

Pourquoi mon âme ne peut-elle planer sur les lieux où la Divinité se révélait à tes prophètes ? Donne-moi des ailes, et je porterai sur tes ruines les débris de mon cœur ; j’embrasserai tes pierres muettes, et mon front touchera ta sainte poussière. Mon pied foulera le tombeau de nos ancêtres ; je contemplerai à Hébron la sainte sépulture ; je contemplerai le mont Abarim, le mont Hor, qui couvrent les cendres de tes divins maîtres, les deux lumières d’Israël. Dans ton vin je respirerai le souffle de la vie ; dans ta poussière, le parfum de la myrrhe ; dans l’eau de tes fleuves, je savourerai le miel.