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tourmentée, et qui n’est autre chose que le sommet du mont Moriah, mis en saillie par les divers nivellemens opérés sur la montagne. En venant à Jérusalem, j’avais rencontré un médecin de l’armée turque, excellent homme qui se piquait de scepticisme, mais qui m’avait avoué toutefois qu’il n’avait pu se défendre d’un sentiment de terreur religieuse à la vue du rocher de la mosquée d’Omar. D’après lui, comme d’après tous les musulmans, ce rocher serait suspendu en l’air, n’ayant pour soutien qu’un palmier invisible, porté par les mères des deux grands prophètes Issa (Jésus) et Mahomet. « Je n’y croyais pas, me disait-il, avant d’être allé à Jérusalem ; mais il a bien fallu me rendre au témoignage de mes yeux. » Il est probable que mon médecin avait des yeux de lynx qui perçaient les murailles. Quand on descend, en effet, dans la crypte située sous le rocher, on remarque tout de suite un mur que la prudence musulmane a élevé à l’endroit où ce rocher fait corps avec la montagne, soit pour cacher le miracle aux gens de peu de foi, soit pour ménager l’enthousiasme de ceux qui en ont trop. La crypte, d’ailleurs, est très curieuse par elle-même. On y montre différens lieux de prière où Salomon, David, Abraham, le prophète Élie et bien d’autres ont fait leurs dévotions. La place la plus sainte est celle de Mahomet. On sait que Mahomet n’est jamais allé réellement à Jérusalem, mais il a fait bien souvent le voyage en rêve, monté sur la fameuse jument El-Borak, qui lui servait à tant d’excursions intéressantes. Un jour qu’il priait avec ferveur dans la crypte du sakbrah, saisi d’un subit élan mystique, il se heurta la tête contre le rocher ; celui-ci, devenu tendre comme de la cire, reçut avec vénération l’empreinte du turban du Prophète. On l’y montre encore, et chacun peut la contempler à loisir. Mahomet fît mieux un autre jour. Emporté par El-Borak, il traversa le rocher de part en part en y laissant un trou cylindrique, qui subsiste également. Lorsqu’il vit disparaître le Prophète, le rocher fut pris d’une envie étrange de s’envoler avec lui ; il s’ébranla sur sa base et se mit en de voir de le suivre ; on ne sait jusqu’où il se serait aventuré si l’archange Gabriel, le messager délicat et prudent auquel rien ne paraît impossible, mais qui est l’ennemi naturel de toutes les démonstrations inutiles, ne l’avait retenu d’une main puissante et rendu à l’immobilité. Comme il s’était déjà élevé quelque peu, c’est depuis lors qu’il est resté entre ciel et terre. Ai-je besoin de dire que l’empreinte de la main de l’archange Gabriel n’est pas moins visible que celle de la tête de Mahomet ? La Judée est un pays où tout est pierre et rocher ; mais les personnages célestes y ont marché d’un pas si pesant qu’ils y ont partout entamé la pierre et le rocher, et laissé d’ineffaçables empreintes. On montre