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aujourd’hui. Il faut bien appeler les choses par leur nom, c’est de la dictature plus ou moins provisoire, et on conviendra que c’est là une étrange manière d’inaugurer une ère de libéralisme. Le cabinet de Madrid, comme tous les cabinets espagnols en pareil cas, aura vraisemblablement la majorité dans les élections qu’il va faire, et il obtiendra, lui aussi, son bill d’indemnité dans les nouvelles cortès. Le fait n’existe pas moins ; les impôts n’en vont pas moins être perçus illégalement au-delà des Pyrénées jusqu’au prochain parlement.

Une autre question, qui n’est pas moins grave pour l’Espagne, pour l’avenir de la monarchie constitutionnelle, c’est la question de direction politique, la question des alliances sur lesquelles le cabinet de M. Sagasta compte pour avoir sa majorité et pour gouverner. Par la position qu’il a prise vis-à-vis des conservateurs-libéraux, des amis de M. Canovas del Castillo, le ministère s’est mis dans la nécessité de se rapprocher du parti démocratique, des anciennes fractions révolutionnaires. Il a trouvé dès son avènement, sinon un appui direct et sans réserve, du moins une bienveillance avouée chez M. Castelar ; mais M. Castelar est un esprit éminent, essentiellement libéral, et tout républicain qu’il soit resté, il a été assez éclairé par des événemens où il a eu le premier rôle pour ne chercher sa force que dans la légalité et dans la discussion, pour se prêter à tous les progrès de liberté politique, même dans le cadre de la monarchie constitutionnelle. Il n’en est pas ainsi des autres fractions révolutionnaires qui viennent de se réunir un peu solennellement à la frontière. Les chefs du parti, M. Martos, M. Figuerola, M. Montero-Rios se sont rendus de Madrid à Biarritz, où est arrivé, de son côté, le chef le plus avéré du radicalisme, exilé depuis longtemps, M. Ruiz Zorilla, à qui le ministère a rouvert récemment les portes de l’Espagne, mais qui a refusé de rentrer dans sa patrie. Elle a fait beaucoup de bruit, cette conférence de Biarritz ; les fractions révolutionnaires espagnoles réunies en conclave n’ont guère réussi à s’entendre à la vérité ; elles sont du moins restées d’accord dans la pensée commune d’hostilité contre la monarchie qui les anime, et elles vont se mêler aux élections, où quelques-uns de leurs chefs seront sans doute nommés. Le ministère ne redoute pas beaucoup cette opposition anti-dynastique, et il a peut-être raison pour le moment. Le danger serait qu’il n’eût pas raison jusqu’au bout, qu’en croyant servir le libéralisme, il frayât la voie à des révolutions nouvelles qui ne feraient que raviver le carlisme au-delà des Pyrénées et replonger l’Espagne dans d’effroyables crises auxquelles elle est à peine échappée depuis quelques années.

La mort sévit cruellement et multiplie ses coups au milieu de ce travail incessant des sociétés contemporaines. Elle a frappé récemment, à peu de jours d’intervalle, des hommes qui ont marqué dans l’histoire de la France par un rôle public ou par la supériorité de l’esprit ; elle