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point ; l’empereur Napoléon lui avait fait à Baden des ouvertures du même genre. On dépêcha M. Blache à Paris ; on acquit la certitude que le projet de traité émanait d’un confident intime de l’empereur, que tout s’était fait avec son agrément. L’escadre française, commandée par l’amiral Le Barbier de Tinan, venait de mouiller devant Gaëte, où s’était retiré le roi François II avec les débris de son armée, et mettait l’escadrille piémontaise dans l’impossibilité de canonner la forteresse, preuve manifeste que Napoléon III voulait tenir ouverte la question napolitaine. Cependant le roi George perdit du temps, il en perdait toujours ; il eut des scrupules, il en avait souvent ; il prit conseil, on lui représenta que l’affaire était délicate, qu’il ferait mieux de ne pas s’en mêler. L’empereur perdit patience ; il rappela son escadre, il abandonna François II et les destinées s’accomplirent. Mais quel fond pouvaient faire les petits états de l’Europe sur une politique de double jeu et à deux fins, qui, après avoir proclamé le principe des nationalités, donnait des gages à l’ancien droit, et après avoir déchaîné la révolution, tentait de s’accommoder avec le comte de Chambord ? Quel secours pouvaient-ils attendre d’un souverain qui avait du cœur, mais qui flottait à tous les vents et tour à tour compromettait la bonne grâce de ses générosités par ses repentirs, le succès de ses combinaisons par le décousu de ses volontés ?

Pendant les années qui s’écoulèrent entre la guerre d’Italie et la bataille de Sadowa, les petits états furent en proie aux perplexités. L’Europe ressemblait à ce pin vieux et sauvage que hantaient des animaux divers, gais ou tristes, voraces ou rongeurs, « toutes gens d’esprit scélérat. » Les animaux paisibles se sentaient menacés dans leur repos. Les uns, blottis dans leur trou, se bouchaient les yeux et les oreilles et s’en remettaient à la Providence ; d’autres s’étourdissaient sur le danger et vivaient au jour le jour. « De sourds grondemens de tonnerre, a dit M. Meding, annonçaient déjà la tempête, et les mouches ne laissaient pas de s’ébattre et de danser dans un dernier rayon de soleil. » L’imprévoyance allait si loin que le roi George salua avec joie l’avènement redoutable de M. de Bismarck. Il lui savait un gré infini de tailler des croupières à son parlement ; il voyait en lui le défenseur juré des prérogatives royales, le conservateur par excellence. Il aurait voulu le connaître, l’attirer à Hanovre, pour lui témoigner son admiration et lui faire fête. Il ne se doutait pas que ce singulier conservateur était prêt à lier partie avec la révolution, à se donner au diable ; quelque marché qu’il conclût avec lui, il se flattait d’en être le bon marchand.

Le roi George persistait à croire que l’ennemi était le libéralisme, et pourtant il n’a jamais perdu aucun roi, il en a sauvé plus d’un. On avait failli mettre le royaume en feu pour une question de catéchisme. Les peuples de race latine sont plus coulans sur ces matières, il y a un païen dans le plus dévot des Latins ; mais chez les peuples du Nord, les