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événement. C’était un art dans lequel on avait beaucoup d’esprit. Peut-être préfère-t-on aujourd’hui les arts dans lesquels on a beaucoup d’adresse. La lithographie aurait-elle perdu de son prix parce que les procédés en sont fixés et que l’infatigable curiosité du nouveau n’y trouve plus sa place ? Nous n’osons le dire. En tout cas, l’habileté n’y manque pas. Voyez cette pierre, déjà ancienne, que l’on a trouvée dans l’atelier du pauvre Mouilleron. Elle est du meilleur temps de l’artiste, et ses confrères ont pensé, dans un sentiment pieux, qu’il y aurait intérêt à la montrer en public. Non qu’elle dût ajouter à une réputation bien établie, mais pour que le nom de Mouilleron figurât une dernière fois au Salon. Voici l’œuvre ; mais est-elle de beaucoup supérieure à ce que nous voyons faire aujourd’hui ? Du moins elle rappellera un important tableau de M. Gigoux : la Communion de Léonard de Vinci. La vie de Mouilleron a été étroitement mêlée à l’histoire de son art, et sa réputation a concordé avec l’apogée de la lithographie. Populaire à trente ans, il est mort jeune encore en se laissant oublier. Mais il ne travaillait plus, et nous venons de constater que la lithographie est encore représentée par des artistes pleins d’ardeur et de talent.


« Il n’y a point d’art sans la matière ; mais l’art parfait l’emporte sur la matière la plus belle. » Cette épigraphe, que nous avons prise dans Quintilien, renferme une leçon de théorie de l’art et de philosophie pratique. Les deux propositions qu’elle contient sont essentiellement vraies ; mais la première a un caractère fondamental. Dans un moment où l’école française s’occupe tant de la nature et semble principalement vouée à des curiosités qui sont du domaine de l’exécution, il semble utile de rappeler que l’ordre matériel a des lois de plus d’une sorte avec lesquelles il faut compter. Nous l’avons dit, elles s’imposent à l’architecte lorsqu’il crée des formes. Le sculpteur doit s’y soumettre en concevant des images. Le peintre a besoin de les connaître de science certaine quand il veut nous mettre seulement en face de l’horizon. Il y a des matières artistiques et il y en a qui n’ont point le privilège de l’être ; mais toutes peuvent être travaillées d’une manière abusive. Celles qui sont destinées à consacrer les œuvres d’art en leur donnant un corps durable ont une autorité qui demande à n’être pas méconnue. Il ne faut point confondre entre elles les formes que la pierre ou le métal ou le bois s’approprient et font vivre. On doit penser différemment, suivant que l’œuvre aura ou les couleurs de la fresque, ou la laine et la soie, ou la simple peinture à l’huile pour moyen d’expression.

Un intime lien existe entre la satisfaction donnée au sens de la vue et la plus haute délectation intellectuelle. Pour établir ce rapport nécessaire, l’artiste se rendra maître de la perspective et des