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deux planches qui font entre elles un contraste complet. L’une exécutée d’après Corot reproduit sa Saulerie, l’autre le Nid de l’aigle de Th. Rousseau. Dans la première, on est étonné de voir l’eau-forte nous donner, sans aucun mélange de procédé étranger, l’idée de la peinture légère et vaporeuse du maître. Les travaux au moyen desquels cet effet est obtenu sont d’une subtilité qui défie toute explication. La peinture de Th. Rousseau, peinture solide, somptueuse, où les intentions sont accumulées et enveloppées dans une tonalité dominante pleine de puissance, est bien rendue dans la seconde estampe de M. Chauvel ; mais le travail en est moins imprévu.

Les artistes qui emploient l’eau-forte ont ceci de particulier que beaucoup d’entre eux gravent leurs propres compositions. Ainsi M. Laguillermie expose, d’une part, des dessins et, de l’autre, des estampes : ce sont des illustrations pour les Mémoires de Benvenuto Cellini. Il y a dans ces ouvrages beaucoup de recherche et d’esprit. Le portrait de M. Edmond de Goncourt fait grand honneur à M. Bracquemond. Il est composé à la manière de Holbein : resserré qu’il est dans son cadre avec plusieurs accessoires, il donne bien l’idée d’un collectionneur qui, vivant au milieu des objets qu’il a réunis, semble s’y être simplement réservé une place. La tête est extrêmement ressemblante ; les yeux ont une grande expression ; les mains sont intelligentes, mains de connaisseur et d’écrivain. C’est un bel ouvrage, d’une coloration harmonieuse et douce. M. Lefort a reconstitué et gravé un portrait de Washington qui attire l’attention. Le ton des chairs, celui du linge et des vêtemens, sont dans des rapports heureux. Ils sont obtenus au moyen de travaux intelligemment variés ; et ce que l’on pourrait objecter au dessin qui, dans une tête de grandeur naturelle, devrait être plus vrai et plus serré, est racheté par la tenue de l’œuvre et par son aspect. L’espace nous manque pour rendre pleine justice à tous les artistes qui ont bien mérité de l’eau-forte à l’exposition de cette année. Nommons cependant, avec M. Lalanne, deux maîtres, M. Gaucherel et M. L. Flameng, qui n’ont pas voulu laisser passer le Salon sans y figurer, et M. Gilbert, qui a rendu magnifiquement le Grand Cerf, de Rosa Bonheur.

La gravure sur bois est, dit-on, menacée dans son existence par le développement des applications photographiques ; et cependant elle prend un essor surprenant. On avait pensé que les maîtres du XVIe siècle avaient marqué ses limites et qu’elle ne devait pas les dépasser. C’était, croyons-nous, aller bien loin. Et pourquoi, à l’avance, assigner des bornes ? Elles n’existent en réalité que là où la matière se refuse logiquement à soutenir le sentiment. Mais quand, par la manière de la mettre en œuvre, l’artiste arrive à en dégager des qualités inconnues, il a bien le droit d’en