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pourtant, mais sans littérature ? À tout prendre, cette traduction des Contes fantastiques est aujourd’hui l'unique ouvrage de Loève-Veimars qui reste en librairie. Il existe aussi un volume de nouvelles : le Népenthès, mais qu’on n’a pas réimprimé et qui ne se trouve guère plus que dans les ventes. Quand on pense à tout ce qui est sorti de cette plume, à ces portraits d’hommes d’état, à cette chronique politique poursuivie ici même pendant des années avec tant de brio et d’influence, à ce feuilleton dramatique des Débats tombé de Geoffroy en Duvicquet et de Duvicquet en Béquet et si crânement redressé de main de maître, on se demande comment il se peut que tout cela soit à ce point oublié. Il faut convenir aussi que Loève-Veimars, de son vivant, ne négligea rien pour obtenir ce résultat.

C’était alors une manie régnante parmi les jeunes écrivains d’affecter le dédain du métier. Se dérober à son talent passait pour une suprême élégance, et Musset n’entendait point qu’on lui parlât de sa littérature quand il soupait joyeusement au cabaret entre gentilshommes. Personne plus que Loève-Veimars n’obéissait à ce travers byronien. ne sans fortune, venu on ne sait d’où, il avait eu des commencemens difficiles et, lorsque se levèrent ensuite les jours meilleurs, on le vit mettre une véritable frénésie à se venger sur le présent de ce passé d’homme de lettres aux prises avec les nécessités. Compilations et traductions, il renia tout, menant grand train et ne fréquentant plus que les salons politiques ; il croyait aux colifichets, voulait être secrétaire d’ambassade comme tant d’autres, et convaincu d’avance que son dandysme ne suffirait pas, il se reprit aux lettres et revint à son lancer. Son talent tira grand profit de ce renouveau. Mêlé au groupe de Stendhal, de Mérimée, de Ditmer et de plusieurs que j’appellerai les romantiques de la prose, il s’y distinguait par la verve étincelante de sa conversation et l’élégance quelque peu guindée de sa personne ; viveur de bonne compagnie, avec des mots d’esprit à profusion, et ne ménageant quiconque. Il avait son genre d’impertinence à lui et son cachet particulier de persiflage. Publiciste politique, critique littéraire et conteur, Loève-Veimars c’est dépensé en écrits sans nombre, d’autant plus ignorés de nos jours qu’il ne les signait pas ou les signait d’un pseudonyme. A ne tenir compte que de la littérature, en laissant de côté les Lettres sur les hommes d’état de la France, les Lettres politiques et cette brillante chronique de la Revue, si lestement menée et gouvernée pendant dix ans d’une main cursive et toujours sûre, quel charmant volume on composerait avec ses impressions d’artiste, ses récits de voyage et ses nouvelles ! J’ai mainte fois surpris chez Buloz le regret qu’un tel recueil d’œuvres choisies n’existât point. Lui qu’on a tant accusé de manquer de