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Toutes les clauses du bill ont pour but de régler dans la pratique l’exercice de ce double droit de deux personnes et de deux classes différentes sur la même terre. Et d’abord, le tenancier étant reconnu copropriétaire, il n’y a plus d’expulsion, plus d’eviction, selon le terme anglais, alors même que le tenancier n’acquitterait pas son fermage ou mieux ses redevances. Dans ce système, en effet, il n’y a plus réellement ni propriétaire, ni fermier, ni fermage, au sens français ou au sens anglais. Si le tenancier doit au landlord une rente annuelle, cette rente représente la part d’intérêt qui revient au seigneur pour son droit de copropriété dans le sol ; mais, quand le tenancier n’acquitterait pas ses redevances, il n’en conserve pas moins intact son propre droit sur la terre. Aussi le tenant ne saurait-il être évincé que par une véritable expropriation dont le bill indique la procédure. Le tenancier, celui que la loi persistait hier encore à considérer comme un tenant at will, pourra bien, en certains cas, s’il ne paie pas sa rente ou s’il dégrade la terre, être expulsé de son champ, mais cette mesure ne devra, être ordonnée que par un tribunal qui, pour éloigner le tenancier, lui enjoindra de vendre son tenant-right soit aux, enchères, soit de gré à gré. Le propriétaire, ou plus exactement le landlord, n’aura dans ce nouveau mode d’éviction d’autre privilège qu’un droit de préemption. S’il rachète le tenant-right, il recouvrera avec la pleine propriété la libre disposition de son domaine.

Dès qu’on lui reconnaît un droit de propriété, le tenant doit pouvoir céder ou vendre ce droit à autrui sans le consentement du landlord. Le bill de M. Gladstone ne recule pas devant cette conséquence. Le tenancier est libre de vendre son tenant-right, dans ce cas seulement, comme dans le précédent, le landlord conserve un droit de préemption.

Toutes ces clauses, on le voit, ne sont que la rigide application du principe. Dans le système de la joint-ownership, le point délicat, et en même temps le point capital, c’est naturellement la fixation des redevances oui de la rente des terres. Le landlord n’ayant plus la pleine propriété du sol, n’ayant plus même le droit de choisir à volonté les hommes auxquels est confiée la culture de son domaine, il n’y a plus de libres baux, plus de libres contrats, pas plus qu’il n’y a de vrai loyer des terres. A qui s’adresser pour déterminer le chiffre de la rente que le tenancier doit payer à son associé dans la propriété du sol ? Dans une pareille situation, il n’y a, semble-t-il, qu’un arbitre désintéressé qui puisse trancher la question, et cet arbitre ne peut être qu’un tribunal. Aussi, malgré la juste répugnance des Anglais à faire intervenir l’état dans les affaires et les conventions privées, le bill a-t-il confié à une cour spéciale la difficile mission de décider le montant de la rente, que