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disette des deux ou trois dernières années, a désolé l’Irlande. En 1870, le cabinet libéral avait fait voter par le parlement un bill qui était un premier pas dans cette voie. Par l’acte de 1870, le droit des tenanciers, jusque-là ignoré des lois anglaises, avait, dans une certaine mesure, été reconnu pour les contrées au moins comme l’Ulster, où, en dépit des juristes anglais, le tenant-right avait su se maintenir pratiquement. En 1880, quelques semaines à peine après son retour au pouvoir, M. Gladstone avait fait un pas de plus ; il avait fait voter à la chambre des communes le Compensation for disturbance bill qui étendait à toute l’Irlande le bénéfice de l’acte de 1870 et garantissait le tenancier contre les évictions arbitraires. Cet acte de Compensation for disturbance, lord Beaconsfield parvint à le faire repousser par les pairs, mais le rejet de ce bill n’a fait que donner une nouvelle impulsion en Irlande à l’agitation de la landleague et aux crimes agraires : beaucoup de ceux qui s’en félicitaient l’an dernier déplorent aujourd’hui cette dernière victoire de l’auteur de Coningsby et l’Endymion. Le projet de loi, naguère repoussé par les lords, est revenu dans les salles gothiques de Westminster, non point amendé et réduit, mais singulièrement élargi et incontestablement soutenu par l’opinion publique des trois royaumes.

Le principe du nouveau bill est, comme nous l’avons dit, la reconnaissance officielle du tenant-right. Loin d’être, comme on l’imagine souvent à l’étranger, une invention du législateur s’immisçant entre le propriétaire et le fermier pour conférer de toutes pièces à ce dernier des privilèges insolites, le bill de M. Gladstone ne fait que sanctionner des prétentions anciennes et donner une valeur légale à des droits qui souvent, dans l’Ulster, par exemple, s’exerçaient pratiquement en dehors ou en dépit des lois officielles. Après avoir tenté, durant deux ou trois siècles, d’implanter ses lois en Irlande, l’Angleterre confesse que les lois britanniques n’ont pas su triompher des coutumes nationales ; n’ayant pu conformer les usages et les faits à la loi, le parlement a décidé de modeler la loi sur la coutume et de mettre la légalité d’accord avec les faits. Avec le bill et le tenant-right revit l’ancien droit celte, non plus au profit collectif de la sept ou de la tribu indivise, mais au profit individuel du tenancier, de l’occupier actuel. Le bill admet implicitement que le tenancier irlandais n’est pas un simple fermier, tenant son droit d’un contrat avec le landlord, mais bien le copropriétaire du sol ayant sur le champ qu’il cultive un droit personnel et héréditaire. De cette copropriété, de cette joint-ownership du tenancier et du landlord découlent la plupart des articles du bill ; ils se déduisent aussi logiquement du principe que les corollaires d’un théorème de géométrie.